Ce n’est pas banal qu’une réalisatrice porno donne une conférence à Sciences Po Toulouse. C’est pourtant l’initiative des Sans-Culottes, association féministe de l’IEP à l’occasion de la journée des femmes du 8 mars. Carmina Ama, camgirl, performeuse et réalisatrice porno était l’invitée de la conférence « Porno et féminisme ». L’occasion d’étudier le porno comme un sujet en tant que tel et de débattre sans tabous.

Après un bac scientifique et des études de management, Carmina Ama,  franco-mexicaine de 33 ans s’est lancée dans le milieu du porno, d’abord en tant que journaliste puis en tant que camgirl, performeuse et réalisatrice. En 2013, elle écrit son premier article pour le TagParfait, site majeur spécialisé dans la culture porn.

« Je trouvais intéressant de traiter la pornographie comme un sujet en tant que tel, sans tabous » explique Carmina Ama.

Après un reportage sur le monde des « cams », c’est le déclic, elle se professionnalise en tant que camgirl. Aujourd’hui, elle est également réalisatrice, journaliste et blogueuse.

Clivages et controverses autour de la pornographie

Selon Carmina Ama, le climat politique actuel est anti-porno. Le sujet suscite des clivages et des controverses même au sein des mouvements féministes.

« Sur la pornographie, il y a un assez gros clivage chez les féministes, comme sur ce qui est de la prostitution » explique Anna Toumazoff, présidente des Sans-Culottes.

Ce climat se répercute sur les travailleuses du sexe. Elles sont souvent victimes de cyber-harcèlement. Une libération de la parole des actrices est en cours, dans la continuité du mouvement MeeToo. Nikita Belluci, actrice porno, a tiré la sonnette d’alarme la semaine dernière dans une interview donnée à Konbini. A cause du harcèlement qu’elle subit quotidiennement, cette dernière a renoncé à concevoir un enfant .

« Les travailleuses du sexe sont stigmatisées et mises à l’écart de la société » note Carmina.

Les principales critiques faites au porno se tournent sur la dégradation de l’image de la femme dans ce milieu. Pourtant, pour Carmina, on peut être travailleuse du sexe et féministe. Elle explique : « le fait de devenir travailleuse du sexe m’a donné une conscience politique et féministe « . Elle ajoute : « cela m’a permis de me réaproprier mon corps ». Selon Carmina, les critiques faites aux actrices nient leur liberté à disposer de leur corps. Elle précise également que le porno reste de la fiction.

Le porno alternatif : repenser les barrières entre porno « mainstream » et  « féministe »

Internet a complètement bouleversé le milieu pornographique tout en permettant l’émergence de nouveaux acteurs. Parmi eux, les plateformes de vidéo et les sex cams. En France, les deux entreprises majeures restent Dorcel et Jacquie et Michel, du porno « blanc, hétéro-centré, fait par et pour des hommes « , note Carmina.  Cependant, un nouveau type de porno a fait son apparition, communément nommé « porno féministe ». Sa particularité : il met au premier plan le désir des femmes au sein d’une production éthique. On y retrouve les films d’Erika Lust mais également Four Chambers et Crash Pad Series, un porno queer qui maximise la diversité des genres et des corps.

« A mon sens, parler de pratiques dégradantes nie le fait que le porno BDSM peut-être féministe et éthique. La plupart du temps, c’est dans le porno BDSM qu’on a les meilleures pratiques de consentement. Il y aussi le contraire, ceux qui se labellisent féministes alors qu’ils ne le sont pas du tout » note Carmina.

D’après Carmina, la distinction entre porno féministe et mainstream est contre-productive. En effet, elle explique :  « parler d’un porno spécifiquement féministe supposerait que toutes les actrices qui font du porno mainstream ne seraient pas féministes. C’est tout à fait faux« . Carmina Ama préfère nommer ce nouveau type de porno « alternatif« . Un porno souvent indépendant, aux revendications éthiques et féministes.

 

Photo de Une : Eva Battut