« Ce n’est pas un problème français mais un problème global » lance Mark Lee Hunter, journaliste d’investigation, dans une conférence sur le journalisme d’enquête.

Hier, Philippe Merlant évoquait Rouletabille, « petit reporter » comme le héros de Gaston Leroux se dépeint (voir article dans la même rubrique). Le journalisme d’investigation est-il aujourd’hui en déclin, quarante ans après l’affaire du Watergate rapportée par les journalistes du Washington Post.

Le besoin d’enquête

« Bullshit ! » tonne l’Américain Mark Lee Hunter, journaliste d’enquête. On a encore Wikileaks, l’affaire Snowden, Bloomberg. S’il concède une baisse d’effectif des journalistes d’investigation, il cite de nouvelles formes et de nouveaux média qui enquêtent et qui ne lâchent pas l’affaire. Il prend notamment l’exemple de l’émission télévisée américaine la plus rentable aux Etats-Unis : 60 minutes, l’équivalent de notre Envoyé Spécial .
Tatiana Kalouguine veut aller plus loin et en appelle à la participation des citoyens, que ceux-ci soient experts, témoins ou encore voisins d’un événement. Plus que leur récit, elle souhaite les intégrer au processus d’enquête de bout en bout. Sur son site récemment créé, Enquête Ouverte, Tatiana invite les citoyens à collaborer via un système de crowdfunding (soutien financier) et de crowdsourcing (apports de données ou encore data-journalisme). Ainsi, ils sont sollicités à chaque étape de l’enquête mais aussi en tant qu’auditeurs de l’enquête réalisée. « C’est une interface à la fois de publication et de remontée d’informations », résume-t-elle.
Matthieu Aron, directeur des enquêtes et de l’investigation à Radio France, estime quant à lui que ce journalisme est d’utilité publique et qu’il est indispensable de le soutenir, quitte à assurer une prise de risque plus grande.

La presse d’investigation mondialisée ou régionale ?

Il s’agit d’un phénomène global pour Mark Lee Hunter, qui évoque la nécessité d’une entraide mondiale à travers la plate-forme http://gijn.org, réseau international et collaboratif de journalistes. « Et n’oubliez pas le journalisme offshore (http://www.icij.org/offshore) », qui permet d’externaliser l’enquête pour la diffuser plus largement, rappelle Tatiana Kalouguine.
Toutefois, Pierre France, rédacteur en chef de Rue 89 Strasbourg, fait remarquer que l’investigation constitue un véritable vide journalistique dans les régions françaises. Selon lui, il faut renouveler le modèle du journalisme. Sur son site web, à l’heure où les enquêtes sont peau de chagrin dans la presse, il propose à ses lecteurs près d’un article par jour. « Mais c’est loin d’être gagné, concède-t-il. Des confrères viennent me voir en me disant « tiens, c’est pour toi » car ils ne peuvent pas enquêter, donc si on n’est pas là, qui va le faire ? »

Manuel d'investigation créé par Mark Lee Hunter

Comment faire ?

Une autre question se pose, soulevée par Julia Pasqual, journaliste et co-écrivain de La guerre invisible qui relate les violences sexuelles dans l’armée. Lorsqu’elle travaillait à Libération, elle n’avait guère l’occasion de fouiller les articles et de faire un travail d’enquête. Causette lui a laissé du champ et elle en a profité. Mais par où commencer ? « Au début, je ne savais pas comment réaliser une enquête. Dans mon parcours de journaliste, j’ai dû passer deux journées sur mes deux années à étudier les techniques d’investigation, avoue-t-elle ». C’est alors qu’elle est tombée sur la notice de Mark Lee Hunter, disponible gratuitement sur le site de l’Unesco.
Dans les faits, si les journalistes enquêteurs sont bien présents à l’écran et dans les journaux, ils manquent cruellement d’une formation à l’enquête.
Pierre France conclue qu’il existe mille manières d’enquêter mais il nous donne un tuyau : « il suffit de suivre l’argent ».