Jouer un opéra sur une scène nationale : un baptême du feu offert aux jeunes musiciens du Conservatoire de Toulouse, à l’occasion d’une coproduction avec le théâtre du Capitole de « L’enfant et les Sortilèges » composé par Maurice Ravel.
L’œuvre n’a quasiment pas été interprétée à l’étranger. En cause, la traduction du texte original, écrit par Colette. L’histoire est celle d’un enfant pas sage, sommé par sa mère de rester seul dans sa chambre. Dans la première partie, « L’enfant méchant » va alors voir défiler devant lui théières et horloges qui parlent et l’accusent de les avoir maltraitées. Après le feu, la tasse chinoise et le pouf qui s’animent, c’est au tour des animaux et des arbres de le réprimander, dans le jardin, lieu de la deuxième partie. Une mise en scène réussie, originale et pleine de surprises que l’on doit au metteur en scène Alexandre Camerlo, 25 ans, qu’ Univers-cités a rencontré.
« Univers-cités » : Que représente la mise en scène de cette oeuvre dans votre parcours personnel ?
Alexandre Camerlo : C’est ma première grosse expérience. J’ai fait des études d’ingénieur, ensuite j’ai fait du cinéma et j’apprends à jouer la comédie, j’apprends à chanter. J’aime chanter et pour moi chanter et jouer la comédie c’est très proche. J’ai travaillé pour la première fois à l’Opéra de Paris, avec mon père, pour la reprise des Noces de Strehler. Ça m’a donné une envie incroyable de faire des projets comme ça, donc j’ai monté une troupe de jeunes chanteurs, qui sortaient des conservatoires, comme pour ceux de L’enfant et les Sortilèges. On a monté Les Noces de Figaro en ne faisant que des citations de la mise en scène extraordinaire de Strehler. C’est comme ça que je me suis fait mes armes. Je n’ai donc jamais travaillé avec des chanteurs disons « installés ». Mais je me suis comporté de la même façon avec eux qu’avec les chanteurs que mon père a dirigés à l’opéra de Paris. C’est une rencontre, il faut que les deux se marient [les chanteurs et le metteur en scène]. Strehler dit que l’acteur fait l’amour au public sur scène. Et bien, peut être que le metteur en scène fait cela avant avec l’acteur pour qu’il le fasse ensuite avec le public. Le metteur en scène c’est un « spectacteur ». Il est les deux.
Comment avez vous guidé les jeunes chanteurs dans l’interprétation théâtrale des rôles ?
Chanter et jouer la comédie c’est impossible à faire correctement en même temps. A partir de là je leur disais de ne pas avoir d’égo, parce que, pour incarner des rôles de cette ampleur, comme des princesses, et pour les interpréter, il ne faut pas mettre d’égo. Pour moi les personnages sont plus purs et mieux que les humains. Il faut simplement être dans la sensation, dans le soufflé et être disponible et peut être que le personnage va venir. Les difficultés sont permanentes, ce sont des contraintes et c’est en même temps grâce à ces contraintes qu’on va plus loin. Je dois dire que ça s’est très bien passé avec tout le monde et notamment avec les chanteurs solistes. Même si c’était un projet pédagogique, j’ai considéré tout le monde comme des professionnels. Donc avec les solistes on a pu travailler les rôles ensemble, on les a construits. Je leur ai ajusté un rôle comme une costumière ajusterait un costume et quand ils se sentaient bien dedans ils l’ont pris et ils l’ont fait.
Comment se déroule le travail entre les acteurs et les musiciens de l’orchestre ?
La mise en scène se fait au piano, ce qu’on appelle « en piano scène ». L’orchestre travaille en musical à côté. Les chanteurs vont régler les tempi, les nuances avec l’orchestre, « en italienne ». Et ensuite on fait des pianos scènes dans la grande salle. Finalement, il y a eu trois scènes-orchestres, c’est-à-dire des répétitions avec orchestre, chanteurs et mise en scène.
Depuis quand travaillez vous sur ce projet ?
Cela fait un an que je travaille avec Henri Galeron, le décorateur et le costumier. Nous avons élaboré le spectacle, le décor, les costumes jusqu’à juillet pour ce qui concerne la remise de la maquette. A partir de là le théâtre du Capitole a assuré la production de ce projet. Je dois dire qu’ils ont fait un travail formidable.
Quelles sont les difficultés particulières liées au fait que ce sont de jeunes chanteurs ?
Ce qui change par rapport à des chanteurs « de métier » puisqu’ici pour ce projet ce sont des chanteurs qui commencent leur carrière, c’est qu’ils ont suivi deux stages un en novembre et un en janvier. Sinon, c’est un mois de répétition pour la mise en scène, comme cela se fait normalement. Les chanteurs ont, par contre, travaillé auparavant les rôles, le jeu d’acteur, avec Jean-Philippe Lafont [baryton] qui les a dirigés. La légère nuance qui n’est pas forcément un mal c’est que les chanteurs qui ont du métier arrivent avec une proposition, puisqu’ils ont souvent déjà fait le rôle dans une autre mise en scène. Ils ont déjà un écureuil à eux a proposer, un chat à eux a proposer. Après on retravaille ensemble et on s’accorde. Là ce n’était quasiment que des prises de rôle, pour tout le monde. Sauf pour Jean-Michel Lafont qui avait déjà joué l’arbre et le fauteuil. Ça a aussi un avantage, c’est la pureté. Ici on a donc vraiment tout construit ensemble
Comment vous êtes vous inspiré pour mettre en scène cette œuvre ?
Quand on m’a proposé ce spectacle je me suis mis à la place du directeur de l’opéra de Paris de l’époque, Rouché, qui a commandé cette œuvre d’abord à Colette puis à Ravel. Si j’étais lui, qui est-ce que j’aurais pris pour faire la mise en scène ? Et bien j’aurais pris Méliès. Si Méliès avait fait la mise en scène et le décor, cela aurait été formidable, parce que c’était un illusionniste, un homme de théâtre et de cinéma. Quand j’en ai parlé a Henri Galeron, il m’a ouvert un placard grand comme ça et m’a sortit tout Méliès, tous ses livres et ses vidéos. On était évidemment sur la même longueur d’onde. C’est ce qui a permis d’inspirer le souffle du départ. Ensuite, je me suis totalement appuyé sur la musique de Ravel qui dit tout. Elle est très cinématographique et en même temps très théâtrale. Tout est dans la musique et c’est souvent le cas avec les grands compositeurs. Si on a des problèmes pour mettre en scène avec la musique, c’est que l’on n’est pas sur la bonne voie.
Le choix des costumes paraît très réaliste, avec une grenouille représentée comme une grenouille, une théière qui semble vouloir représenter une vraie théière alors que la pièce est elle même très surréaliste. Comment expliquez vous ce choix ?
Pour moi le surréalisme, prend sa source dans le réalisme. Le théâtre, c’est un mensonge. Quand on s’assoit dans notre siège on sait qu’on va nous mentir. On sait que ce n’est pas la vérité qui est sur scène, et pourtant quand le spectacle est bon, le public prend la décision d’y croire, d’adhérer à ce mensonge. Et Sacha Guitry disait : « Quand il applaudissent [le public] c’est pour remercier les acteurs d’avoir si bien menti ». Et je trouvais que les costumes de Galeron sont un peu dans cet esprit : ce n’est pas un rossignol, ce n’est pas une libellule mais il a tout fait pour faire adhérer le public tout en gardant à la vue de tout le monde l’acteur, qui est sous le rossignol. C’est un acteur qui tente d’incarner un rossignol. L’incarnation ne se fait que par la présence du public, si un acteur joue tout seul c’est un fou. Donc le personnage apparaît quand un acteur se démène pour faire adhérer un public.
Que pensez vous du résultat final ?
Je pense que c’est une réussite et si cela a du succès auprès du public, c’est formidable. Je crois qu’on a réussi à avoir un souffle commun. Le chanteur, l’acteur, le danseur doivent respirer correctement pour exprimer leurs émotions. J’en discutais avec Henri Galeron qui est illustrateur à la base. Il me dit que pour dessiner il faut aussi respirer correctement, donc il faut respirer correctement avec tout le monde, tout le temps. Le régisseur, le machiniste, les accessoiristes, le chef d’orchestre, tout ce monde doit respirer ensemble. L’idéal c’est quand ça donne au public la possibilité de respirer avec nous, et quand tout le monde respire ensemble, ça donne un souffle et normalement ça marche.