Sorti sur les écrans à la mi-janvier, « Les Nouveaux chiens de garde » est le documentaire sensation de ce début d’année. Il est à l’affiche jusqu’au 15 mai à l’Utopia.

Pas de promo, très peu de publicité, seul le bouche-à-oreille a permis au film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat de connaître un certain succès populaire. Le pitch ? Loin d’être les pourfendeurs du système, ou du moins les observateurs critiques, les organes de presse en sont les garde-fous. Critique de la critique des médias version Les Nouveaux chiens de garde.

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Des médias aux ordres ?

En son temps, Paul Nizan, auteur du livre « Les Chiens de garde » dénonçait les errements des philosophes idéalistes, gardiens du temple de l’ordre établi. Quatre-vingts ans plus tard, Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, héritiers du documentaire façon Pierre Carles, reprennent le flambeau et montrent que le pouvoir est passé des mains de l’intelligentsia des livres à l’élite médiatique.

En un peu plus d’une heure et quarante minutes, le documentaire inspiré des écrits éponymes de Serge Halimi, directeur du Monde Diplomatique, remet au goût du jour les thèses de Pierre Bourdieu et de Noam Chomsky. Fini le statut de contre-pouvoir, les médias sont devenus un pouvoir à eux seuls. Diffus. Autonome. Mais incontestablement un pouvoir puissant qui défend le statu quo et la reproduction d’un système dominant. Bref, pas vraiment la vision romantique des rédactions vents debout contre les dérives du pouvoir central.

Piquant, ce documentaire entend donc dénoncer avec humour et ironie les dérapages actuels de la profession. Première victime : le poncif éculé du « les médias sont plus libres aujourd’hui que sous le régime de l’ORTF ». Certes, le temps où Alain Peyrefitte, ministre de l’information sous De Gaulle, venait sur le plateau du journal télévisé annoncer le nouveau cahier des charges de la première chaîne est révolu ; pour autant, les médias sont-ils désormais de blanches colombes où la collecte et la diffusion de l’information restent les missions premières ?

Des journalistes, à la niche?

D’apparence plus libres et indépendants, le film tend à montrer qu’ils sont en réalité tiraillés par des logiques en pleine contradiction avec leur cœur de métier : rentabilité économique, course effrénée au scoop, connivence avec les élites politico-économiques, autant de griefs qui minent actuellement la confiance qu’a la population envers eux. Résultat, « [Les médias] ont les mains pures, mais ils n’ont pas de mains », pour détourner la formule de Charles Peguy. En tout cas, si on en croit Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, ils ont le bras long…

Pour légitimer leur propos, les deux réalisateurs s’en prennent directement à la sacro-sainte trinité qui guide tout journaliste et la passent sous le scalpel critique de leur œil de professionnels des médias. L’indépendance ? Une vaste fumisterie. L’objectivité ? Le cheval de Troie de l’idéologie ultra-libérale. Le pluralisme ? Un écran de fumée qui masque le monopole de la pensée unique. Le constat fait par cette production audiovisuelle est accablant pour une profession en pleine crise existentielle. Ceci explique d’ailleurs peut-être cela…

Mais en 2012, qui peut réellement nier que les liens incestueux entre journalistes et élites politico-économiques à l’image du dîner du Siècle, véritable fil rouge du film, entachent la réputation d’incorruptible de cette profession ? Même chose pour le recrutement quasi mono-classe des journalistes que déplore le sociologue François Denord dans le film, source d’une certaine déconnexion entre médias et lecteurs ? Ou encore de la sur-représentation d’une poignée d’experts, porte-étendards du cercle de la raison et bras armé d’un système qui s’auto-légitime pour reprendre la pensée iconoclaste de Frederic Lordon, lui aussi intervenant dans le documentaire ?

Toutes ces tares sont connues, mais Les Nouveaux chiens de garde a le mérite de les mettre sur la table à coups d’exemples édifiants et de montages savamment taquins. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si quelques figures tutélaires de la profession se sont levées d’un seul homme pour dénoncer tous azimuts ce film poil à gratter. Laurent Joffrin, directeur de la publication du Nouvel Observateur, n’hésite pas à parler de « brûlot  » dans L’Express !

Un film, quelques (ac)crocs

Seulement, les forces du film Les Nouveaux chiens de garde se transforment rapidement en faiblesses… et c’est le cabot qui se mord la queue. À charge – de revanche ? –, il tombe parfois trop dans la dénonciation à tout bout de champ. Qu’il essaye de s’élever dans le débat critique et bien souvent, cet Icare du 7e art se brûle les ailes. Quant au parti pris du film, il est sans concession et vire quelque fois au discours partisan.

On sait depuis Albert Camus que « le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti », or quand la vérité n’épouse qu’une seule grammaire sans que les accusés ne puissent se justifier, cela peut s’avérer problématique. Pas pour Yannick Kergoat qui sur le site de Bakchich persiste et signe : « De temps en temps nous forçons le trait, c’est un film satirique, un pamphlet, un film de combat qui fait rire. »

Aussi pertinent que soit cet état des lieux du media circus actuel, son traitement laisse perplexe : primat du fond sur la forme ; montages et découpages de vidéos pour le moins hasardeux ; mélange des genres allant de la satire à l’invective en passant par la charge et le raisonnement intellectuel ; absence de droit de réponse ; sur-représentation d’une anti-pensée unique du monde social qui paradoxalement tend ici à devenir dominante ; généralisation osée de cas exemplaires (Christine Ockrent, Alain Minc…) à l’origine d’une impression – non-voulue – de « tous pourris ».

Il ne s’agit évidemment pas de nier à quel point la profession est tourmentée voire nécrosée par des passions destructrices, ce que démontre avec force le documentaire, mais de là à en faire un immense bateau à la dérive… Quid des journalistes lambda dans l’ombre des grands éditorialistes ? Des nouveaux médias numériques ? D’une presse qui tente de se réinventer à force de media checking, de codes éthiques et déontologiques ou encore via la création de médiateurs ? Les Nouveaux chiens de garde n’en pipe pas mot.

Pour reprendre l’une des phrases prononcées par le directeur de la publication du Point, Franz-Olivier Giesbert : « Il est normal que le pouvoir s’exerce. » Celui des médias comme celui de sa critique. Dommage pour cette dernière qu’elle se soit avec ce documentaire, quelque peu perdue entre l’attaque à tous crins du jeu médiatique, et la critique raisonnée du 4e pouvoir bien que le sujet et les thèses défendues sonnent pourtant justes. Les Nouveaux chiens de garde, plutôt os à ronger qu’authentique laisse du système médiatique ?