Le dernier film de Tony Gatlif, « Indignados », navigue entre l’histoire d’une jeune immigrée en Europe et des images des mouvements sociaux du printemps 2011 : un désordre magnifique servi par une musique impeccable.
Indignados, les indignés. Les indignés du printemps 2011, Plaza del Sol à Madrid. Ceux qui refusent le pouvoir de l’argent. Ceux dont la voix s’élève pour dire « Aucun humain n’est illégal ».
Sous la caméra de Tony Gatlif (Latcho Drom, Gadjo Dilo, Exils), on risque avec Indignados un oeil dans le mouvement spontané qui occupe la place, mais pas seulement. Le film est surtout une libre adaptation d’Indignez-vous, le livre de Stéphane Hessel. Les citations, qui contestent le pouvoir du monde financier et veulent redonner le pouvoir au peuple, ponctuent le film et marquent les chapitres de l’histoire de Betty.
Chroniques de l’exclusion
Betty a une vingtaine d’années, elle vient d’Afrique. On n’en saura pas plus au cours du film. Betty a débarqué en Europe pour trouver du travail. Elle veut envoyer de l’argent à sa famille. Grèce, puis France, puis Grèce encore, pour enfin aboutir à l’Espagne, Betty est sans cesse renvoyée de pays en pays, de prison pour femmes en centre de rétention, de la rue à la rue… Dormir sur des bancs, vendre des bouteilles d’eau à la sauvette, maintenir les apparences. La vie de tous les sans-papiers en Europe. Suivre ce personnage implique d’ouvrir les yeux : effectivement, c’est comme cela que ça se passe.
L’actrice principale joue son propre rôle. Loin d’être une actrice professionnelle, elle est sans-papiers et a rencontré Tony Gatlif par hasard, dans un café.
Le film est entrecoupé de séquences qui dépeignent les mouvements politiques qui ont fait l’actualité pendant l’année 2011 : printemps arabes et mouvement des Indignés en Espagne. Soleil, slogans, pancartes, le changement est dans l’air, et avec lui la joie qui se lit sur les visages. Les Indignés veulent le changement, mais cela ne les empêche pas d’avoir le sourire, et Betty se retrouve à crier des slogans avec eux. C’est le seul moment du film où on la voit parler à des gens autres que le personnel des centres de rétention ou la police.
« Lève-toi de ton canapé ! »
C’est donc un va-et-vient permanent entre réalité et fiction que propose Gatlif avec cet objet filmographique bizarre et attachant. On passe des manifestations au voyage solitaire de Betty, entre les cris des manifestants et son propre monologue intérieur. Le film intègre des séquences saisissantes et conceptuelles, toujours significatives : des oranges qui dévalent les rues d’une ville marocaine en hommage à Mohammed Bouazizi, des magazines jetés dans les airs, et une incroyable scène de chant et de danse flamenco dans la cour d’un bâtiment taggué et désaffecté, au son du violon et parmi des centaines de tracts qui tombent du ciel. Comme d’habitude, Tony Gatlif dirige et compose la musique du film, envoûtante, ajustée au millimètre.
C’est peut-être d’ailleurs ce qui fait tenir le film debout, malgré un montage anarchique et une histoire un peu décousue. Gatlif est meilleur poète de l’image qu’il n’est documentariste, mais on se prend d’amitié pour Betty tout en s’indignant avec Stéphane Hessel : « Regardez autour de vous, comment sont traités les sans-papiers, les immigrés, les indésirables… ». Le film nous enjoint à nous réveiller, comme l’a fait le mouvement du printemps 2011, et on n’a qu’une envie à la fin, c’est de se lever de son canapé pour faire changer les choses. Bravo et merci, Monsieur Gatlif.