Samedi 12 novembre, le Président du Conseil Silvio Berlusconi a démissionné, après dix-sept ans au pouvoir. Face à ce départ, les étudiants italiens que nous avons interrogés se disent soulagés, mais conscients des défis à venir.

berlusconi_jeunes_450x320_.jpg Ces images ont fait le tour du monde : des milliers de manifestants sur la place du Quirinal [[Le palais présidentiel]] à Rome, insultant le Président du Conseil et criant leur joie après sa démission. Si les étudiants à Supaero que nous avons interviewés attendaient son départ avec impatience, certains regrettent cette ambiance festive. « J’ai trouvé ça exagéré. La situation politique et économique n’est pas la meilleure qui soit, donc il faut se concentrer et travailler », estime Federico Cappuzzo. Paolo Diomedi est du même avis : « Ce n’est pas comme si l’Italie avait gagné la Coupe du Monde ».

« Berlusconi a un pouvoir économique et une capacité à manipuler les médias de masse »

Machiste, homophobe, raciste, mégalo… Malgré les critiques régulières de la part de la presse étrangère, Silvio Berlusconi a été élu trois fois. Les étudiants explique cette popularité par son fort pouvoir médiatique [[Berlusconi détient notamment le groupe Mediaset qui gère trois chaînes de télévision.]] : « La population est plutôt vieille, elle est très influencée par la télévision », regrette Federico. Selon Silvia, il a été élu plusieurs fois du fait de « son pouvoir économique et de sa capacité à manipuler les médias de masse ». Claudio Montebello est un peu plus réservé en ce qui concerne son emprise sur l’information : « Tous les journalistes indépendants ou de gauche pouvaient s’exprimer facilement. Le problème, c’est plutôt d’avoir une vision neutre ».

Selon les étudiants, il doit aussi son long règne à une opposition divisée. Le Cavaliere a su au contraire fédérer autour de lui : « Berlusconi est arrivé à faire ce que personne n’était arrivé à faire en cinquante ans : rassembler toute la droite dans un seul parti », analyse Claudio. Son programme qui parlait de réduire les taxes a séduit, mais aussi son parcours : « Il est devenu riche car il a bien géré ses entreprises, donc c’était le seul qui pouvait bien gérer l’Etat. Il n’était pas le politicien classique qui ne fait rien de sa vie », juge Claudio. Pour Paolo, il a compris que la politique est un marché où il faut se vendre. Selon lui, « Berlusconi a donné un espoir aux Italiens, qui ne faisaient pas confiance aux autres partis ».

« Il semble que le pouvoir du FMI et des banques soit plus puissant que le peuple »

Le Cavaliere a dû se plier à la pression de l’Union Européenne et des marchés, en faisant adopter à la Chambre des députés des mesures d’austérité pour réduire la dette de l’Italie [[L’Italie a une dette de 1 900 milliards d’euros, soit 120% de son PIB.]]. Pour beaucoup, la démission du Président du Conseil est avant tout une décision européenne. « Il doit obéir à ce que l’Europe impose », affirme Claudio. Federico constate : « Il semble que le pouvoir du FMI et des banques soit plus puissant que le peuple ». Mais on peut trouver des prémisses à cette nouvelle aire au sein de l’Italie. En février 2010, des femmes avaient manifesté dans tout le pays. Cette année, Berlusconi a essuyé des revers politiques : la victoire de la gauche à Milan, son fief, et le rejet du referendum prévoyant notamment des lois sur son immunité judiciaire.

Mais pour les étudiants, la crise a été l’événement déclencheur : « Les gens ont commencé à avoir peur de perdre leur travail », raconte Paolo. Selon lui, face à l’impuissance de la classe politique, la population a voulu changer elle-même les choses. « Il n’a pas fait de réformes économiques et sociales. Il avait pourtant une large majorité au Parlement », estime Federico. Silvia dénonce quant à elle « le rôle fondamental joué par le Vatican, qui veut maintenir les lois conservatrices ». Les frasques du Cavaliere l’ont aussi poussé vers la sortie. Pour Silvia, c’est surtout son comportement qui lui a coûté sa place. Claudio assure : « Berlusconi est mort politiquement quand on a découvert les affaires de prostitution », même si selon lui ces scandales portent plus préjudice aux femmes qu’à l’homme politique : « Berlusconi n’a forcé personne ».

« Mario Monti est la bonne personne pour faire face à la crise, mais pas pour gouverner le pays »

C’est Mario Monti, 68 ans, ex-commissaire européen et ancien consultant de la banque Goldman Sachs, qui a été chargé de former le nouveau gouvernement. « C’est pour la crédibilité, résume Claudio. C’est un gouvernement de technocrates, pas de politiciens ». Silvia est du même avis : « C’est la bonne personne pour faire face à la crise, mais pas pour gouverner le pays ». Paolo dénonce quant à lui une décision trop rapide, et qui ne permet pas d’apporter de la crédibilité : « La crise économique a commencé à cause des banques, comment faire confiance à un homme qui travaillait pour elles ? »

Alors, quel avenir politique pour l’Italie ? Claudio pronostique la victoire de la gauche, mais espère un renouvellement de cette partie de la classe politique : « Aujourd’hui, ils sont comme Berlusconi, voire pire ». Silvia se dit optimiste : « Il y a une nouvelle génération avec une bonne formation, qui pourrait restaurer la prospérité du pays ». Mais Paolo dénonce le manque d’une véritable critique constructive de la part du Parti de gauche : « Aujourd’hui nous avons besoin d’une personne qui dit ce qu’elle veut faire ». Encore faut-il que les mentalités changent :« Beaucoup d’Italiens ne sont pas intéressés par la politique », regrette Silvia.

Pour l’heure, le temps est à l’austérité, avec déjà plusieurs mesures mises en place, en attendant le prochain plan de rigueur du nouveau gouvernement. Selon Federico, ces plans sont « inévitables » pour ne pas sortir de la zone européenne. « J’espère que la classe politique va montrer de forts signaux pour dire qu’ils vont changer les choses », ajoute-t-il. Un bon début serait selon lui de « baisser les salaires des dirigeants », particulièrement élevés en Italie. Histoire de partager les efforts…

Pourquoi Berlusconi a t-il démissionné ?

Silvio Berlusconi, 75 ans, n’était pas obligé de donner sa démission. Néanmoins le contexte économique et politique en Italie ont rendu son départ inévitable. Le 8 novembre dernier, une loi sur les comptes publics est votée au Sénat par 308 votes. Mais une majorité de députés (321) a choisi de s’abstenir, afin de montrer au Président du Conseil qu’il n’avait plus la majorité au Parlement, le vote totalisant plus d’abstentions que de votes positifs. Ils ont néanmoins choisi l’abstention plutôt que le vote contre, afin de ne pas affoler les marchés. Face à la perte de sa majorité et le manque de crédibilité de l’Italie sur les marchés, couronné d’un déficit de popularité grandissant au sein de la population, Silvio Berlusconi annonce dès le 8 novembre sa démission prochaine à Giorgio Napolitano, le Président de la République italienne. « Le gouvernement n’a plus la majorité qu’il pensait avoir. Nous tenons compte de cette situation et agissons en conséquence », a expliqué Silvio Berlusconi, par téléphone, à la télévision.