Les ministres européens de l’Agriculture n’ont pas su s’accorder sur la poursuite du programme d’aide alimentaire aux démunis, qui rencontre l’opposition de six Etats-membres de l’Union. Les fonds annuels alloués à ce programme, tirés des surplus agricoles, vont fondre de 75% en 2012. Les quatre principales associations françaises de lutte contre la précarité présagent « une catastrophe humanitaire sur notre continent ».

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Sale temps pour les 18 millions d’Européens dépendants de l’aide alimentaire : alors que les États-membres rivalisent de politiques d’austérité, l’espoir d’une prolongation du Programme européen d’aide aux démunis (PEAD) s’est envolé à la suite du Conseil des ministres européens de l’Agriculture le 20 octobre à Bruxelles. En 2012, les moyens du dispositif se passeront de 500 à 113 millions d’euros. Une décision que les associations françaises de lutte contre la pauvreté, chargées de la distribution de cette aide alimentaire, jugent « incompréhensible» dans une lettre commune adressée aux chefs d’État et de gouvernement européens.

Une interprétation juridique qui « laisse des gens sur le carreau »

« Ce sera impossible de remplacer cette aide, qui représente la moitié de ce qu’on distribue. Des gens vont rester sur le carreau », déplore Houria Tareb, présidente du Secours populaire en Haute-Garonne, où 32 000 personnes bénéficient de l’aide alimentaire.

Pour expliquer ce soudain revirement, il faut remonter aux origines du PEAD. Mis en place en 1987 sous la présidence de Jacques Delors à la Commission européenne, après l’appel de l’humoriste Coluche, le dispositif prévoit qu’une partie des surplus agricoles obtenus dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) soit destinée aux démunis.

Or depuis quelques années, l’Europe réduit ses stocks sous les injonctions de l’Organisation Mondiale du Commerce, la poussant à compenser en débloquant des enveloppes annuelles de 500 millions d’euros pour l’achat de produits alimentaires. Mais six États-membres ne participant pas au PEAD (Allemagne, Royaume-Uni, République Tchèque, Suède, Pays-Bas, Danemark), estimant que la PAC n’a pas vocation à verser d’aides autres qu’en nature, ont porté un recours devant la Cour Européenne de Justice, qui leur donne raison. Pour ces pays, la lutte contre la pauvreté relève de la compétence nationale.

La Commission a pour l’instant ramené l’aide au niveau des stocks -113 millions d’euros – proposant une redéfinition des bases juridiques du PEAD, que le Conseil des ministres européens de l’Agriculture a rejeté. Cela malgré l’opposition du Parlement européen, qui avait voté à 85% pour une évolution du dispositif le 7 juillet dernier.

« Cette subvention représente seulement 1% du budget de la PAC », objecte Houria Tareb. Rappelons aussi qu’en 2008, la PAC avait généreusement arrosé le groupe du luxe LVMH, le prince Rainier de Monaco ou la reine Elizabeth d’Angleterre, qui avait perçu 530.000 euros pour sa « ferme de Sandringham »…

« Les choses bougeront quand la classe moyenne sera touchée »

Cette nouvelle survient au moment où le public de l’aide alimentaire s’élargit : «Il y a de plus en plus de salariés, de retraités et de jeunes, touchés par la crise et le coût de la vie», analyse Houria Tareb. La banque alimentaire du Secours populaire, dispositif « d’urgence », est désormais « une solution quotidienne dès le 15 du mois ».

Vers quelles solutions les associations peuvent-elles se tourner ? « Le conseil général et la mairie n’augmentent pas leurs subventions du fait du désengagement de l’État », raconte Houria Tareb. Reste la solidarité, qui ne faiblit pas malgré la crise : le Secours populaire a récemment récolté 120 tonnes de produits en deux jours de collecte départementale. En comparaison, le PEAD fournit 920 tonnes par an en Haute-Garonne.

Quant aux bénéficiaires, « Ils sont tout le temps culpabilisés, c’est toujours sur eux que l’on tape. Je pense que les choses bougeront quand la classe moyenne sera vraiment touchée », affirme Houria Tareb. Seul aspect positif : « Cette politique fait sortir ces gens du silence, et mobilise les associations de façon inédite ».

Désormais, reste à voir si la Commission européenne trouvera un compromis juridique permettant de lever l’opposition de la minorité de blocage.