Du 2 au 6 février 2009, l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Toulouse accueillait dans ses locaux le professeur Philip Schlesinger pour un cycle de conférence autour de ses travaux de recherches, parmi lesquels l’avenir du service public de l’audiovisuel en Europe.


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Spécialiste mondialement reconnu dans le domaine du journalisme et de la culture, professeur émérite à l’université de Glasgow et directeur du Centre pour la Recherche en Politique Culturelle (Center for Cultural Policy Research), Philip Schlesinger est également consultant au sein de plusieurs institutions britanniques dans le domaine des médias.

Ses travaux portant entre autres sur la BBC (British Broadcasting Corporation), Philip Schlesinger était invité à parler du modèle économique et politique que représente la télévision publique britannique à l’heure où la réforme de l’audiovisuel public suscite de nombreux débats en France. Alors que des changements profonds interviennent dans les sphères médiatiques et politiques, le spécialiste des médias rappelle l’importance d’une politique de développement des industries dites «créatives» et de l’innovation technologique. Mais pas n’importe comment: selon lui, le modèle britannique ne pourrait être que très difficilement transposable en France.

Les conditions de l’indépendance

Crée en 1927, la «Beeb» (nom familier donné à la BBC) a su développer une relation étroite avec les Britanniques, qui repose sur des conditions bien particulières dont une «culture politique de l’autonomie de la chaîne vis-à-vis du pouvoir», assurée par les attentes des téléspectateurs, et garantie par une série de fonctionnements internes. La BBC est ainsi financée quasi-exclusivement par une redevance élevée (fixée en 2007 à 135,50 livres sterling, soit 185 euros ; en comparaison la redevance française est de 116 euros, l’une des plus faible en Europe), à laquelle il faut ajouter les recettes de la BBC Worldwide, sa filiale commerciale, et les financements du ministère des Affaires étrangères britannique. Au total, un budget de 4,5 milliards d’euros pour une organisation multimédia regroupant 11 chaînes de télévision, 10 services de radio ainsi qu’un positionnement numérique important (BBC Online).

Philip Schlesinger note également le fort prestige dont jouit la chaîne dans la société britannique en tant qu’acteur majeur de l’économie et véritable contre-pouvoir politique, notamment sur le traitement de la guerre d’Irak. La BBC, rappelle-t-il, jouit ainsi d’une grande autonomie face au pouvoir politique dans son organisation interne. Car si les membres de la BBC Executive, le pôle de direction, sont sélectionnés avec l’approbation du secrétariat d’Etat à la communication (OFCOM), de nombreux intermédiaires entre l’État et la chaîne garantissent l’indépendance tant vantée. Philip Schlesinger insiste sur le fait que la BBC est une entité publique (public corporation) et non une entreprise publique directement gérée par l’Etat. On est loin d’un président nommé directement par l’exécutif, comme la loi française le permet désormais.

Une BBC à la française: un écran de fumée

Car c’est sur ce modèle que le gouvernement français prévoit de s’aligner, alors que le budget de France-Télévision et Radio France n’est que de 3 milliards d’euros, dont 65% seulement financés par la redevance. La suppression de la publicité entraînera donc une perte de 800 millions d’euros, que ne compenseront qu’en partie (une prévision de 450 millions d’euros) les taxes votées par l’Assemblée nationale sur les fournisseurs d’accès Internet et les chiffres d’affaire des chaînes privées. Une situation qui ne garantira pas l’indépendance des chaînes publiques.

Contrairement au système français, qui fait transiter les recettes de la redevance dans le budget de l’État avant de les verser à France Télévisions, l’apport financier de la redevance est géré en Grande-Bretagne directement et seulement par la BBC Trust, l’office de régulation propre à la BBC. De plus, sa structure lui permet de produire elle-même ses programmes ainsi que de les vendre sur le marché international, permettant un apport financier conséquent (environ 2 milliards de livres par an). Une autre manière de garantir son indépendance financière, impossible à transposer en France, du fait de l’obligatoire division entre producteur et diffuseur dans la législation française.

Pour Philip Schlesinger, les conditions financières, juridiques et économiques permettent donc un certain équilibre à la chaîne britannique, qui peut alors rivaliser avec ses concurrentes privées en alliant qualité et popularité. Mais il émet aussi de sérieuses réserves sur la réussite du projet français: selon lui, «au delà des différences culturelles entre les deux pays, le président français n’a retenu qu’une facette du modèle (l’absence de publicité), sans en assumer les très nombreuses réformes inhérentes».

Mathieu Abadon et Ulysse Gry