L’IEP de Toulouse a accueilli en février dernier Jean-Jacques Kourliansky, chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Spécialiste de l’Amérique latine, il a étudié la Colombie et fait ressortir le fonctionnement complexe de cet Etat.

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Pour Jean-Jacques Kourliansky, la Colombie est un « pays de façade ».
Le déficit dans la construction de l’Etat s’explique, en partie, par la géographie. Le relief culmine rapidement à 5 600 mètres d’altitude, rendant difficile la communication entre les vallées. La moitié du pays est recouvert de jungle, ce qui ne facilite pas les opérations anti-guerilla, celles-ci se cachant dans les zones difficiles d’accès.

La culture de la violence et du conflit est intimement liée à l’histoire du pays et fait partie du quotidien. Selon l’ONU, la Colombie est la deuxième région au monde, après le Darfour, en termes de déplacements de populations.

Les guérillas, une « délinquance avec un cache-sexe idéologique »

Deux principales guérillas sont actives dans le pays:

– L’ELN (Ejército de liberaciòn nacional ou Armée de libération nationale) créée en 1964, d’inspiration « guévariste, cubaine, marxiste » qui regroupe environ 4 000 combattants (chiffre invérifiable). L’ELN a beaucoup souffert des attaques des Farcs, de l’armée et des groupes paramilitaires et est actuellement en situation de repli.

– Les FARC (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo ou Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple) sont un groupe d’origine communiste orthodoxe créé en 1966 à partir d’un maquis de paysans partisans de l’ «autodéfense». C’est une guérilla mobile qui s’est développée en quelques années et qui compte 10 000 à 15 000 hommes et femmes. Affaiblie par l’armée et les groupes paramilitaires ainsi que par l’ELN, sa force réside dans son autonomie financière. Les FARC fonctionnent en autarcie grâce aux rançons, versées principalement par des familles d’otages issus de la classe moyenne colombienne. Actuellement, plusieurs centaines de personnes sont entre leurs mains.

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Paramilitaires et guérillas organisent la violence en Colombie

La classe moyenne, victime des enlèvements

La classe moyenne devient de plus en plus importante dans une société en mutation économique depuis une dizaine d’années. Elle est, du fait de son pouvoir d’achat, devenue la cible privilégiée des enlèvements et finance donc indirectement la guérilla grâce aux rançons. Ces enlèvements ont parfois lieu les jours de grande affluence. Des barrages sont érigés pour ramener dans les campements des « pêches miraculeuses ». En contrôlant l’identité des automobilistes, les guérilleros choisissent les plus « juteux ». La classe moyenne nourrit une aversion de plus en plus forte contre ces guérillas, qui alimentent un climat de peur quotidienne. Elle soutient en retour la politique de « sécurité démocratique » du président Alvaro Uribe.

Les paramilitaires, ennemis des guérillas

Ce sont souvent des propriétaires terriens, soucieux de défendre leurs intérêts face aux guérillas. Ils veulent en finir avec les enlèvements et s’organisent militairement dans les années 1980. La constitution colombienne leur a conféré un caractère légal, jugeant qu’il était nécessaire que des citoyens s’organisent face à la violence des guérillas. Leurs cibles privilégiées sont donc les groupes communistes et tous ceux qui ont des liens avec la « subversion marxiste ». Le paramilitarisme a progressivement glissé vers une « idéologie teintée de fascisme ».

Les cartels de narcotrafiquants, sous la tutelle des Mexicanos

En Colombie, les cartels sont des organisations criminelles. Très bien organisés, ces cartels cherchent à pénétrer l’État pour protéger leurs activités illicites. Maintenant, beaucoup de cartels colombiens sont sous la tutelle de Mexicains qui font entrer la cocaïne aux Etats-Unis. Les Etats-Unis investissent beaucoup de dollars pour contrer ces trafics : c’est leur troisième investissement à l’étranger après l’Irak et l’Afghanistan. Mais en détruisant les champs de coca, de pavot ou de marijuana, savent-ils qu’ils font augmenter leur prix et incitent les paysans à continuer de cultiver ces plantes ?

Les hommes politiques sont souvent corrompus. Des députés ont été mis en examen pour avoir trempé dans le trafic de drogue. Le trafic de coca touche toutes les strates de la société. Philippe Burin des Roziers, auteur de « Cultures mafieuses. L’exemple colombien » (Stock, 1995) est favorable à la légalisation des drogues en Colombie. Selon lui, la légalisation supprimerait la répression qui entraîne la corruption, l’insécurité et a un coût non négligeable pour l’État colombien. Les mafias ont, quant à elles, tout intérêt à financer les organisations répressives car c’est la prohibition qui leur confère une puissance considérable. Selon l’auteur, tant que la légalisation sera une utopie politique, le cercle vicieux de la répression et de l’expansion des mafias violentes et des guérillas ne pourra être rompu.

Un retour à la paix ?

En définitive, comprendre la société colombienne, c’est accepter l’idée qu’elle ait pu se construire en s’imprégnant de valeurs portées par la violence. L’argent de la drogue a rendu la culture imperméable à toutes sortes de valeurs. Ce pays d’Amérique latine se trouve dans une impasse au fond de laquelle il est difficile d’entrevoir une issue de secours.

Jean-Jacques Kourliansky propose une réflexion générale sur la résolution de conflits. Cette argumentation pourrait s’appliquer aux fondements de l’Etat colombien, afin d’envisager un apaisement de la situation. Qu’il émane d’acteurs sociaux, politiques, régionaux ou non-gouvernementaux, tout compromis doit être porté par une volonté collective. De plus, une négociation de paix se gère d’autant plus sereinement que les caméras en sont éloignées. Éviter que le médiatique ne s’immisce pendant les pourparlers ne peut être que bénéfique à la Colombie.

Dans tout conflit, des ambiguïtés apparaissent lors de la mise en place d’un nouveau système. Quel équilibre trouver entre justice et pardon, entre formation d’une nouvelle démocratie et intégration de criminels sans procès ? Si une réforme institutionnelle était instaurée, un nouveau contrat social devrait suivre en Colombie. La teneur de ce pacte tournerait autour de la restitution des terres volées aux paysans, et de la réintégration des paramilitaires, des guérilleros et des narcotrafiquants dans la société civile. Tant que ces questions demeurent suspendues, le retour à la paix reste hypothétique dans ce pays.

– Un bon documentaire sur Pablo Escobar, le plus grand narcotrafiquant de l’histoire de la Colombie :

– Pour suivre l’actualité colombienne, quelques grands journaux colombiens : www.elcolombiano.com (quotidien de Medellin), www.vanguardia.com (quotidien libéral), www.eltiempo.com (quotidien libéral national).

– Pour les mélomanes, des classiques de musique afro-colombienne : Toto la Monposina (musique palanquera), Lucas Silva, Battata, Paulino Salgado, Desiderio Valdez.

Repères historiques

2008 = 26 mars : mort de Manuel Marulanda Vélez, chef historique des FARC ; 2 juillet : libération, par l’armée colombienne, d’Ingrid Betencourt et de 14 autres otages

2006 = Réélection du président Alvaro Uribe

2002 = Avant l’entrée en fonction du président Uribe, une bombe attribuée aux FARC explose à Bogota, faisant 20 morts. L’état d’urgence est déclaré

2001 = Accord entre les FARC et le président Pastrana pour négocier un cessez-le-feu

1998= Pastrana, président colombien, accorde aux FARC une zone démilitarisée dans le Sud-est du pays pour favoriser la tenue du pourparler de paix

1993 = Pablo Escobar, chef du cartel de Medellin, est tué par la police

1965 = Naissance des guérillas ELN (Ejército de Liberaciòn nacional ou armée de Libération nationale) et EPL (Ejército popular de Liberación ou armée populaire de Libération)

1966 = Naissance des FARC (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia ou Forces armées révolutionnaires de Colombie)

1957 = Fin de la guerre civile au cours de laquelle 250 000 à 300 000 personnes trouvent la mort. Les libéraux s’opposaient aux conservateurs suite à l’assassinat en 1948 de Jorge Eliécer Gaitan, leader populiste

1903 = Fin de la guerre civile des Mille Jours, entre libéraux et démocrates

1829= Naissance de la Colombie actuelle après le départ du Venezuela et de l’Equateur de la Grande Colombie

1819 = Les Espagnols sont vaincus par Simon Bolivar à Boyaca. La grande république de Colombie est formée avec l’Equateur, le Panama et le Venezuela.