En juillet 2008, un groupe d’avocats membres d’Avocats sans Frontières rentre du Cambodge après avoir passé un mois sur le terrain. Parmi eux se trouve Ferdinand Djammen Nzepa, dont ce n’est pas la première mission. Récit.

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Après des études de droit à Toulouse, Ferdinand Djammen Nzepa prête serment en 1992 pour devenir avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle. Mais c’est en 1998 que son histoire commence avec Avocats Sans Frontières. Il est sollicité par ASF Belgique pour participer à une mission intitulée “Justice pour tous au Rwanda”, visant à défendre les personnes accusées de génocide et de crimes contre l’humanité. L’avocat accepte de relever ce défi. et le voilà parti pour un mois. « Je suis quelqu’un qui adore les voyages. Si c’est un voyage utile, alors c’est encore mieux ». À ses côtés se trouvent deux autres avocats toulousains : François Cantier et Françoise Mathe. C’est au retour de cette mission que l’idée de fonder une antenne française germe dans la tête des trois juristes. « Il n’y avait pas de raison pour que la France soit à la traîne. On a donc fondé notre association la même année ». ASF France était née.

Dans le cadre de l’association, Ferdinand Djammen Nzepa participe à de nombreuses missions : Rwanda, Burundi, Djibouti et Brésil. Les missions sont aussi variées que les pays. Ainsi, on peut voir cet avocat plaider dans de grandes affaires, que ce soit dans le cadre d’un génocide ou de procès politiques. « Quoi de plus normal que d’aller défendre dans un pays où il y a 120 000 personnes qui sont détenues et qui n’ont pas d’avocat. Il n’y a pas de mission plus noble que celle-là ».

L’engagement pour la mission Cambodge

C’est en 2005 que le projet Cambodge prend forme. L’objectif est de réduire la carence de la Défense dans certaines régions du pays en y installant des avocats cambodgiens, en formant des étudiants et des professionnels du droit, et en sensibilisant la population sur le rôle de l’avocat. Ce projet fait instinctivement mouche dans l’esprit de Ferdinand Djammen Nzepa. Pour lui, faire de la formation aux étudiants cambodgiens, c’est aller au-delà d’une simple plaidoirie ; un tel enseignement permet de pérenniser dans le temps les principes élémentaires d’une bonne justice. C’est ainsi qu’il s’engage dans cette mission. Par ailleurs, il ne se cache pas d’avoir d’autres motivations : « Si ASF n’y va pas, ce sont les associations américaines qui vont prendre le terrain ; ils vont entrer partout et ils imposeront leur système de common-law ».

Avant d’aller sur le terrain, l’avocat français reçoit un enseignement pour devenir formateur. Il doit aussi connaître les instruments juridiques internationaux, le droit et la procédure pénale du Cambodge. Cet apprentissage ne semble pas lui faire peur, car il sait que le plus gros du travail l’attend sur place.

Sur le terrain : entre formation et sensibilisation

Arrivé au Cambodge, Ferdinand Djammen Nzepa découvre un nouveau style de vie. Lui qui est habitué à ne pas perdre de temps, aux rendez-vous de dernière minute et à l’empressement citadin typiquement occidental, il découvre le caractère pondéré des Cambodgiens : « Ce sont des gens qui ne s’énervent pas, ils sont calmes en tous moments ; ils ont la zen attitude ». De leur côté, les Cambodgiens sont surpris de son éloquence, de sa voix forte et grave, et de ses multiples gesticulations.

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Au-delà des cultures et des styles de vie, ce qui marque le juriste, c’est la réalité de la justice dans le pays. Dans les campagnes, il y a des audiences qui se font sans avocats. Les gens ne sont ni défendus ni même assistés : « Certains même ne savent même pas ce qu’est un avocat ».

La formation des étudiants dure une semaine. Le thème choisi par les élèves est la déontologie. Ainsi, les apprentis avocats, Ferdinand Djammen Nzepa et son homologue cambodgien, travaillent sur les rapports entre les membres de la profession. Mais un point sensible apparaît quand il est question de la corruption : « Quand on leur en parle, ils disent que chez eux cela marche comme ça. Quand on fait une démarche, on vous fait comprendre qu’il faut donner un peu d’argent ».

L’avocat d’ASF ne fait pas que de la théorie, il pose également des cas pratiques et des mises en situation. Ainsi, on simule une audience où chaque étudiant est tour à tour président du tribunal, procureur ou avocat. Les plaidoiries se travaillent, et les systèmes de défense deviennent de plus en plus solides. « Les Cambodgiens sont des gens très respectueux. Or quand ils sont dans le rôle de l’avocat, ils n’osent pas bousculer verbalement le procureur, alors qu’ils peuvent le faire. Je leur explique alors que l’on peut malmener le procureur avec toutefois beaucoup de respect ».

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La formation des jeunes juristes ne dure qu’une semaine. Une fois celle-ci finie, la mission continue. Ferdinand Djammen Nzepa part faire le tour des orphelinats pour sensibiliser et initier les enfants aux Droitsde l’Homme. « On a fait beaucoup de route. On a sillonné le pays dans des conditions difficiles. Mais c’était pour expliquer à tous ces jeunes ce qu’était la justice ».

Les procès des Khmers rouges

L’aventure ne se limite pas à la pédagogie. Ferdinand Djammen Nzepa doit rencontrer les organisations de défense des Droits de l’Homme pour traiter d’un sujet des plus importants : les procès des crimes commis par les Khmers rouges. Dans ce cadre, des tribunaux spéciaux ont été créés ; on les appelle les Chambres extraordinaires des tribunaux du Cambodge (CETC). L’avocat français s’est inscrit à titre individuel pour plaider devant les CETC ; il interviendra aux côtés des victimes en tant que partie civile. Mais la tâche semble ardue : « Il y a des victimes, mais elles ne savent pas comment accéder à la justice. Beaucoup d’entre elles ne savent même pas qu’il y a des procès en cours ». Par ailleurs la procédure est très lente et fastidieuse car tout est écrit en Khmer, et tout doit donc être traduit.

Après un mois de mission, Ferdinand Djammen Nzepa rentre en France. Il est conscient du sacrifice qu’il a dû faire en partant autant de temps, mais il relativise son manque à gagner financier par la portée de son action humanitaire : « Un engagement comme celui que je viens de réaliser, ça coûte du temps, et donc de l’argent. Quand je pars en mission, je ne suis pas payé ; tous les rendez-vous de mon cabinet sont reportés, toutes les audiences ont été données à des confrères. Mais, ce que je retire de ces missions, ça n’a pas de prix ».