Cantier_photo-2.jpg Président et fondateur d’Avocats sans frontières France, avocat au barreau de Toulouse, Maître François Cantier est un personnage aux multiples casquettes. Pour autant, derrière ce pluralisme se cache une volonté unique, sorte de leitmotiv: la défense et la promotion des Droits de l’Homme. Rencontre avec un humaniste convaincu et convaincant.

Qu’est ce qui vous a poussé à fonder l’antenne française d’ASF ?

Ma première préoccupation était d’étendre le mouvement, et donc de créer une nouvelle association sur le territoire français qui travaillerait en coordination avec ASF Belgique. J’ai également voulu élargir le concept initial, à savoir l’urgence. Schématiquement on peut dire que l’on va défendre des hommes là où il n’y a personne pour le faire ; une fois cette mission accomplie on retourne en France. C’était à mes yeux insuffisant. J’ai voulu ajouter une autre dimension, celle qui consiste à développer et renforcer les compétences des juristes locaux sur place.

Concrètement quelle est votre action sur le terrain ?

L’accompagnement tout d’abord. C’est le cas dans les pays où nous ne pouvons pas plaider directement pour des raisons juridiques ou linguistiques. Dans ce cas nous sommes auprès de juristes défenseurs des droits de l’Homme pour travailler avec eux. C’est une mission de conseil et d’assistance.
Le second objectif est de renforcer la présence individuelle et collective des avocats en termes d’organisation. En France, si la profession a ce prestige c’est du fait de son esprit de corps, c’est grâce à cela que l’on peut proposer l’aide judiciaire. Dans des pays comme le Kosovo, ASF a ainsi contribué à constituer un ordre des avocats car le pays était en ruine et personne n’avait les moyens financiers pour se défendre. C’est une action sur le long terme, tout comme notre troisième objectif qui est de former les avocats sur place.

Quel est précisément le rôle du président d’ASF France ?

Au cours de ces dix années mon rôle a forcément évolué. Au début de l’aventure nous n’étions que trois ; j’étais donc obligé d’être un peu partout à la fois. Dix ans plus tard nous avons une structure, une organisation avec un bureau administratif, des salariés, des bénévoles structurés autour d’un chef de projet, des chefs de missions, des équipes. Aujourd’hui, mon rôle est celui de représenter l’association auprès des pays, organisations, ou colloques internationaux. Je continue de tracer des perspectives mais je fais surtout en sorte que la machine fonctionne correctement. Ma mission est aussi celle de fédérer les membres. Les gens travaillant pour ASF sont tous bénévoles, et la difficulté principale est donc de concilier leur vie professionnelle, personnelle et d’y ajouter ce pan associatif. L’unité et la rigueur sont essentiels à notre survie.

A l’origine, dans quel domaine du droit êtes-vous spécialisé ?

Quand on me parle de spécialisation je raconte l’histoire de l’homme qui est pour moi la référence absolue, à savoir Robert Badinter. C’est une personne d’une qualité exceptionnelle et un avocat très sensible aux valeurs humanistes. Tour à tour professeur d’université, avocat dans le droit des affaires puis au pénal, il a été connu comme le chantre du combat contre la peine de mort, alors que sa spécialité, à la base, c’était le droit constitutionnel. De mon côté je suis spécialisé en tout et en rien, mais depuis quelques années on me considère en France comme l’un des papes du droit pénal international ; droit dont je n’avais jamais entendu parler lorsque je faisais mes études à l’université de Toulouse. En 15 ans, cette matière a émergé en suivant l’évolution de la société.

Dans quel contexte en êtes-vous venu au droit pénal international ?

On rêve de sauver des hommes et des femmes aux quatre coins du monde. On rêve aussi d’une justice qui viendrait juger et sanctionner les auteurs des crimes les plus graves : crime contre l’humanité, crime de guerre, crime de génocide. Depuis une dizaine d’années, un mouvement s’est affirmé. En même temps que nous fondions ASF, un projet de création d’une juridiction pénale internationale se dessinait : la Cour pénale internationale (CPI). L’idée a été soutenu par une coalition mondiale dont le slogan était « no peace without justice ». J’ai participé à ce mouvement, et comme ASF menait déjà des actions dans le monde nous avons été sollicité pour assurer la défense devant les tribunaux internationaux. C’est ainsi que l’association est intervenue pour défendre un suspect dans l’affaire Lubanga, concernant l’utilisation d’enfants soldats. Nous avons également participé au Tribunal pénal international au Rwanda (TPIR) afin de défendre un accusé considéré comme l’un des responsables du génocide de Kigali où 250 000 personnes ont été massacrées. Nous attendons actuellement le verdict.

Durant ces 10 ans d’aventure avec ASF France, y a-t-il eu des déceptions ?

Très sincèrement, oui. Comme dans toute action humaine il y a toujours d’avantage d’échecs que de succès. Nous n’avons pas les capacités suffisantes pour résoudre les milliers de problèmes qui se posent aujourd’hui aux hommes et aux femmes victimes de l’injustice, tout simplement parce que cette tâche est immense. Il y a des regrets quand nous ne pouvons pas surmonter toutes les difficultés. En Libye par exemple, où malgré notre présence, les infirmières bulgares ont été condamnées à mort. Je ne minimise pas ce que nous avons fait, nous avons contribué à médiatiser et populariser leur affaire. J’ai beaucoup travaillé avec le professeur Montagnier, récemment prix Nobel de médecine, pour démontrer scientifiquement que la thèse de la contamination volontaire ne tenait pas debout. Nous étions aux côtés des infirmières quand la sentence a été prononcée ; elles ont été condamnées à mort. Cela a été un échec.

Quelles obstacles rencontrez-vous dans vos missions ?

Les difficultés sont immenses. Regardez déjà comment est perçue la fonction de défense des accusés dans un pays démocratique comme le nôtre ; l’avocat est quasi-systématiquement assimilé à la cause et aux personnes qu’il défend. Quand vous arrivez au Rwanda de l’après génocide, dans un monde qu’il est difficile de décrire tellement il a été martyrisé, où tout les principes moraux et religieux ont été violé, comment voulez-vous que des personnes comme nous soient perçues par les rescapés ? On venait défendre des gens accusés de génocide ; nous étions des monstres à leurs yeux, nous étions vu comme des complices. Voilà les difficultés réelles sur le terrain, sans parler des risques et des dangers que nous courons dans nos missions.

Ce à quoi nous nous sommes attaqués est immensément difficile. Nous sommes une goutte d’eau qui a l’immense prétention d’éteindre l’incendie planétaire des violations des Droits de l’Homme. Ça donne le sens de l’humilité, au cas où nous ne l’aurions pas déjà.