oismazout.jpg Une tempête meurtrière a balayé le week-end dernier le détroit de Kertch, entre la mer Noire et la mer d’Azov. A ce jour, vingt-trois marins ont péri. Sans compter les dizaines de personnes portées disparues.
_ Au drame humain s’ajoute une catastrophe écologique sans précédent. Au total, dix navires auraient sombré, dont un tanker russe, le Voganeft-139: sa coque éventrée a déversé presque un tiers de sa cargaison de mazout. La très froide température de l’eau compromet les chances de récupérer la nappe de polluant : les 1 500 tonnes de fioul commenceraient à couler.
_ Un risque majeur d’acidification de l’eau de mer est également attendu. Le soufre contenu dans les cales de certains bâtiments coulés, malgré l’effet de dilution, est responsable d’une pollution plus insidieuse pour cette petite mer quasi fermée. Le pire environnemental demeure sans doute à venir.
_ Pour l’heure, plusieurs centaines de militaires russes défient des conditions météorologiques encore très pénibles afin de commencer le nettoyage des côtes mazoutées. Le littoral est jonché de volatiles à l’agonie englués d’une épaisse couche d’hydrocarbures. Plus de trente mille oiseaux ont péri dans cette marée noire. Les oiseaux plongeurs de Sibérie, en pleine migration, ainsi que les Râles, oiseaux des zones humides, risquent de payer le plus lourd tribut à cette catastrophe écologique.

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Des marées noires successives sur les côtes d’Europe de l’Ouest, en France en particulier, ont tristement familiarisé les autorités aux procédures de ce type d’urgence environnementale.
_ Le Dr Christophe Feix, vétérinaire spécialisé en médecine et chirurgie des oiseaux, est aguerri aux mesures de sauvetage et de réanimations de ces victimes.

Trente mille oiseaux ont succombé dans le détroit de Kertch le week-end dernier suite à la marée noire. Outre les oiseaux plongeurs de Sibérie en pleine migration, quels sont les oiseaux les plus vulnérables dans cette zone ?
_ Les oiseaux les plus vulnérables sont tous les oiseaux présents dans cette zone, c’est à dire tous les volatiles du littoral. C’est une catastrophe environnementale, elle ne fait pas de tri au sein de ses victimes.

Quelles seraient les conditions idéales, humaines et techniques, à mettre en œuvre pour tenter un sauvetage rationnel des oiseaux ?
_ Les conditions idéales dans le cadre de cette catastrophe n’existent pas ! Mais comme dans tous les drames écologiques, le besoin premier c’est les paires de bras. Rien ne peut être fait pour sauver des milliers d’oiseaux sans une arrivée massive et rapide de bénévoles et de militaires pour récupérer les individus agonisant en hypothermie.
_ Et puis bien sûr suivent les infrastructures, fruits d’une coopération nationale et internationale. Là doivent être présents des spécialistes aviaires comme des profesionnels des soins aux oiseaux mazoutés. La réussite commence par le tri des animaux, afin de ne se concentrer que sur les individus sauvables. Cette sélection rationnalise les efforts de traitement.
_ Après, il faut pouvoir alimenter et garder tous ces oiseaux survivants aussi longtemps que nécessaire avant de les relâcher dans un environnemnt propre. C’est un travail herculéen, un gouffre financier qui dure des mois, et surtout nombre de déceptions pour les sauveteurs. Mais c’est le seul moyen de restaurer un peu de cet écosystème après le désastre.

Au drame humain s’ajoute la catastrophe écologique. Quel est le sentiment du professionnel de santé animale à l’égard de cette tragédie environnementale ?
_ Tous les oiseaux de mer et de bord de mer sont vulnérables, qu’ils soient migrateurs ou non. Nous avons en tête les images d’oiseaux mazoutés. Sans intervention de secours, ils sont condamnés.
_ Mais que vont devenir les survivants dans un environnement pollué à ce point? En fait, c’est tout l’écosystème du littoral qui est touché. Devant une pollution marine aux hydrocarbures les chaînes alimentaires sont modifiées (plancton, crustacés, poissons, oiseaux marins). Chaque maillon de cette chaîne concentre les polluants, chaque pallier peut voir sa bioaccumulation multipliée par dix. Les espèces déjà sur la liste rouge de l’extinction vont voir leur fécondité s’effondrer. La biodiversité de cette région du monde va certainement fortement chuter.
_ Dans toutes les tragédies de ce type, l’élimination de la marée noire passe par le nettoyage des plages et la récupération en pleine mer de galettes de fioul. La mer Noire est une mer qui pourra peut-être dans le futur digérer cette pollution mais la mer d’Azov bien plus petite n’aura pas cette chance. Nous ne pouvons qu’être tristes en songeant à l’avenir écologique compromis de cette région.

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