«L’Internet représente une menace pour ceux qui savent et qui décident». En mai 2000, Jacques Attali* mettait en garde la classe politique dans un entretien accordé au journal Libération. Six ans plus tard, le constat est simple : ceux qui taquinent de la souris électronique ne se sont pas assagis, bien au contraire.

Aujourd’hui, Internet est accessible à (presque) tous. Dans un cyber café, une université, chez un copain ou à domicile; qui n’a jamais surfé sur le Web? Cette incroyable révolution n’est plus perçue par la majorité comme un outil compliqué ou inutile. Les internautes ont appris à se familiariser avec le surf, et participent aujourd’hui plus que jamais au contenu de ces milliards de pages disponibles. Mais ils n’y parlent pas toujours de leur vie ou de leurs loisirs… Ils sont capables désormais de parasiter une campagne présidentielle !
Depuis que certains candidats sont connus, les citoyens internautes ont multiplié leurs efforts pour décrédibiliser ceux qu’ils redoutent. Tous les moyens sont bons. Vidéos, PPS, blogs, sites, «bombardements google», certains diffusent leur vision du «vrai visage» de Nicolas Sarkozy, tandis que d’autres s’attaquent à la candidate du PS. Ceux qui n’ont pas la parole dans les médias ou redoutent les liens de ces derniers avec les personnalités politiques ont trouvé un moyen moderne de s’adresser à (presque) tout le monde : Internet. Univers-cités dresse un état des lieux :

Le « bombardement google », peu connu mais efficace :

Vous avez peut être été victime du bombardement google sans le savoir. La premier qui a été touché par ce cyber combat politique est notre actuel président de la République, Jacques Chirac.
En tapant le mot «magouilleur» dans le moteur de recherche Google, puis avec un clic sur le bouton «J’ai de la chance», les internautes tombaient sur le site de l’Élysée. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre. Le mot clé n’a plus aucun lien direct vers le site du Président de la République. Mais tout n’est pas effacé: les pages qui racontent l’anecdote sont nombreuses, et on y trouve, en prime, de nombreux commentaires. De l’autre coté de l’Atlantique, G. W. Bush n’a pas été épargné : «misérable failure» [misérable raté ndlr] est aussi un mot clé qui dirige directement sur le site de la Maison Blanche. Pour ceux qui voudraient tester, ça fonctionne encore.

Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal : deux cibles importantes du militantisme.fr

Comme on peut s’y attendre, les deux candidats les plus médiatisés, les «favoris» des sondages, sont touchés de plein fouet par ces contestataires dernière génération.
S2GO.jpgL’actualité de ces dernières semaines nous révélait l’existence d’une vidéo volée concernant la candidate du PS, diffusée sur Internet. Il s’avèrera quelques jours plus tard que l’auteur l’avait coupée, de manière à donner un sens particulier à ces images. Mais cette attaque n’est pas unique, loin de là. Ségolène est également ridiculisée ou contrée par des PPS sorte de diaporama pour ordinateurs ndlr] touchant directement à sa personne, d’autres vidéos et, bien sûr, par les [bloggeurs, qui ne sont pas en reste. Les auteurs et supports étant multiples et variés, la candidate est attaquée sur plusieurs fronts : ses idées, son manque d’idées, sa personne, dans un but engagé ou « pour rire un peu ».

Et Nicolas n’a pas à l’envier : lui aussi a son palmarès de vidéos, blogs, ou sites web. Comme ceux de sa rivale, ils sont organisés, reliés entre eux, et font référence à des intellectuels pour plus de sérieux dans leur lutte.

video_sarko.jpgLes vidéos sur le président de l’UMP foisonnent.
Une première raconte comment l’homme «qui un jour a voulu devenir grand» pourrait se faire élire président. Une seconde, plus forte, est titrée « le vrai Sarkozy ». Sur fond noir, apparaissent ces mots : «populiste, ultra libéraliste, démagogue, communautariste, sécuritaire, calculateur… Nicolas Sarkozy dans son propre rôle», le ton est donné. Les images sont des archives de reportages, de journaux télévisés ou des extraits d’interview. Cette vidéo a littéralement envahit la toile. On la retrouve un peu partout : forums, blogs, sites de vidéos, etc.

La petite taille de l’homme politique est aussi pointée du doigt, et certains de ces discours analysés. Les « amis de Sarkozy » (Steevy, J. Hallyday et Doc Gynéco) sont aussi pris pour cible dans une vidéo satirique inspirée de l’île aux enfants. Ce n’est pas tout : le ministre de l’Intérieur a également eu droit à son «bombardement google», toujours en activité. En saisissant «iznogoud» dans le moteur de recherche et toujours en cliquant sur «J’ai de la chance», on vous propose le site de son ministère, directement sur sa page biographique.
Pour terminer ce rapide état des lieux du jattaquenicolas.fr, il semble impossible de ne pas citer ceux qui font preuve d’un peu plus d’originalité. En effet, certains sont allés jusqu’à écrire des chansons «anti-sarko», que l’on peut écouter directement sur le net, il y en a pour tous les goûts!

Peut on parler de démocratie.fr pour autant ?

Leur ton n’est pas toujours solennel, mais de chez eux, sans être forcément membre d’un parti, des citoyens français s’engagent pour soutenir ou ternir l’image des personnalités politiques. Et le message passe. Ce qui n’apparaît pas dans les médias est désormais disponible à tous, mais, info ou intox ? Parfois, il est difficile de répondre.
Cependant, il apparaît que les français ne sont pas autant désintéressés de la vie politique qu’on pourrait le croire. L’engagement politique aurait il changé de forme ? Les adhésions partisanes, certes en augmentation, ne battent pas des records. Mais du coté des claviers, ça bouge. Les français s’opposent de plus en plus à ceux qui les dérangent via leurs cables réseaux. La contestation, l’engagement et l’espoir ne sont pas morts. Désormais, on cherche avant tout à faire circuler ses idées à un maximum de personnes, en espérant peut être aussi que les principaux concernés tomberont sur la page…

Peut-on alors tout dire en politique sur Internet ?
Il semblerait que la liberté soit grande, mais certains observateurs tempèrent un pareil optimisme. Lorsqu’ils regardent qui participe aux activités du web (notamment dans les forums), ils soulignent la surreprésentation de certaines catégories sociales, limitant de fait l’idée que le web permettrait un grand débat politique intergénérationnel et alimenté par tous. Mais il ne faut pas désespérer, car si « la démocratie.fr » n’est pas encore là, le potentiel, lui, existe vraiment.

* Jacques Attali est un économiste, haut fonctionnaire et écrivain français. Il a été entre autre conseiller de François Mitterrand.