Les juges le savent bien, il arrive qu’un banal contrôle routier vire à l’altercation. Ces dérapages incontrôlés, routine des policiers, remplissent depuis longtemps les prétoires. Ce 21 janvier, un jeune couple, accusé de « rébellion » contre les policiers qui les verbalisaient, comparaissait ainsi au barreau de Toulouse. Les versions des faits, comme à l’ordinaire, divergent. Mais ne pèsent pas le même poids.

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Des dizaines de milliers de contrôles routiers ont lieu chaque année en France © Wikimedia/Kevin B.

« Vociférations »

Ce 9 décembre, il est une heure du matin lorsqu’un véhicule, doté d’un feu de route défaillant, déboule dans le quartier Saint-Michel. De patrouille, un véhicule de police les prend en chasse, passant graduellement des appels de phare aux gyrophares tricolores. Au premier croisement, la voiture poursuivie tourne et s’arrête « brutalement ». Les policiers décrivent que le chauffeur, « de type méditerranéen », « se contorsionne pour atteindre le siège arrière » tandis que la passagère avant tente de se glisser côté conducteur. À l’intérieur : une troisième personne, et des bouteilles d’alcool vides.

Le contrôle d’usage occasionne violences et protestations : « tu ne sais pas qui je suis, lâche moi sale bâtard, je vais te crever » aurait « vociféré » l’homme sans permis, tentant de mettre « des coups de tête » à l’agent qui l’interpelle.

En justice, cela se traduit par de la « rébellion » et un « outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique ». Tel est le scénario des forces de police, repris par le procureur au Tribunal de Grande Instance de Toulouse. « Les services de police patrouillent la nuit, et n’interviennent pas quand il n’y a pas de problème », estime-t-il.

« Violence policière »

Bien sûr, le discours des intéressés diffère fortement. À la barre, le couple soutient qu’ils n’étaient nullement en train d’intervertir leurs sièges. « Les policiers se sont montrés violents dès le début, lui s’est fait allonger sur le capot et rouer de coups », affirme la plaignante. Selon eux, la violence est avant tout « policière ».

Pleine à craquer, la salle d’audience tente de démêler le vrai du faux. « Ils ne veulent peut-être pas dire que la police est raciste », ricane dans notre oreille un quarantenaire.

« Donc, ce sont les policiers qui mentent ? », interroge la présidente. « Ce contrôle n’était pas normal, assure la jeune fille. Ils m’ont fait souffler trois fois, j’ai fait de l’asthme, ils disent que c’est un refus d’obtempérer ». L’homme surenchérit : « Je n’aurais pas pu les insulter. Je sais que si je les insulte, c’est un outrage ».

En effet, le conducteur présumé est un habitué des forces de police. Et sait ce qu’il a le droit de faire ou non. Condamné à quatorze reprises, il est classé comme récidiviste. Le voilà en mauvaise posture devant un tribunal qui, malgré les avertissements des sociologues de la criminalité, ne ménage plus les peines de ceux qui s’enlisent toujours davantage dans la délinquance.

« J’ai vu l’homme se faire rouer de coups »

En dernière minute, un témoin est appelé à la barre par l’avocate de la défense. D’une voix calme, celui-ci dit résider « à l’étage en face » de la scène de l’altercation, au numéro 27. Alerté cette nuit-là par les gyrophares, il a constaté que « ces jeunes gens ont été sortis avec violence, n’ont injurié personne ». « J’ai vu l’homme mis sur le capot, recevoir des coups dans les côtes et dans les reins. La jeune fille a reçu un coup au visage », soutient-il.

Les règles veulent que l’avocat peut convoquer les témoins de son choix, mais ce témoignage n’a pas été apprécié par le procureur, qui s’était opposé à sa comparution. Balayant cette version des faits, le représentant du ministère public affirme que « les faits ont eu lieu au niveau du numéro 47, soit dix immeubles plus loin que la fenêtre de monsieur ».

« La mauvaise foi est inouïe »

« Les policiers opèrent des dizaines de milliers de contrôles par an. Si les policiers agissaient avec violence sans raison, les juridictions seraient saisies », explique comme à l’accoutumée le parquet. « Le délit de refus a été constitué, point final. La jeune fille avait peut-être de l’asthme, mais on lui a proposé une prise de sang qu’elle a refusé. La mauvaise foi est inouïe, caractérisée ». Pour le procureur, la constitution de l’audience implique l’existence du délit, « s’ils avaient agi calmement, nous ne serions pas là aujourd’hui ». Réclame quatre mois ferme.

Véhémente, la défense entame sa plaidoirie. « Quand je l’ai vue cette nuit-là », plaide l’avocate de la jeune fille, « elle était dans un état de crise d’asthme grave ». Diagramme à l’appui, elle démontre avec tonicité qu’ « elle avait des difficultés à respirer, et à aucun moment on ne lui a apporté de la ventoline ». Si la police n’avait pas été si expéditive, la jeune fille aurait pu être plus ouverte à coopérer, dit-elle. Puis dézingue uns à uns les éléments apportés par les policiers. « Il y a trop de doutes concernant ces faits de rébellion », conclut-elle, réclamant « la relaxe pure et simple ».

« Le tribunal appréciera »

« On sait que les témoignages des plaignants ne pèsent pas lourd face à ceux des policiers », entame à son tour l’avocate du jeune homme, « mais mon client avait, ce soir-là, après l’interpellation, un œil au beurre noir, un gros hématome, l’oeil injecté de sang. Donc pour ‘la force strictement nécessaire’ invoquée par les policiers, le tribunal appréciera ».

Dans l’attente de la délibération, des spectateurs estiment que la justice s’en tiendra toujours mordicus à la parole de la police. Mais les juges, on leur ment à longueur de journée. Alors la légende des avocats veut que, à mesure du métier, ils développent un flair pour dénicher le mensonge. Cette fois-ci, à leur retour, leur sixième sens les a conduit à infliger quatre mois de sursis à la jeune fille, et six mois de prison ferme au prévenu.