Le 2 février, la nouvelle exposition du Quai des savoirs ouvrait ses portes au public. Au menu : promesse d’une expérience immersive interrogeant nos rapports aux intelligences artificielles. Une semaine plus tard, les premiers retours dressent des ressentis en demi-teinte.

« Je n’ai rien appris de nouveau, mes enfants non plus », confie Maxime qui voulait faire plaisir à sa famille avec une sortie culturelle dominicale. Il ressort bredouille de l’exposition dont il avait pris connaissance via des affiches roses placardées aux quatre coins de Toulouse. C’était pourtant bien parti : une soirée d’inauguration à la réception chaleureuse, une prise de parole du directeur du Quai des Savoirs. Et une grosse affluence de visiteurs durant la première semaine : plus de 1000 personnes par jour. Mais rien n’y fait, la magie retombe déjà. 

Sur le papier, de grandes promesses philosophiques quant au contenu de l’exposition : comment appréhender et se faire une opinion sur ce qui est en train d’arriver ? Que faut-il craindre ? Que peut-on espérer ? Qui contrôle quoi ? Quelles sont les perspectives souhaitables de l’IA pour demain ? Les pistes de réflexion ne manquent pas. Et pour cause, l’IA inquiète autant qu’elle fascine. Le titre, lui aussi prometteur, engage le questionnement moral des frontières entre humains et algorithmes : qui fait quoi, qui peut faire quoi, quelle sous-traitance confier à l’IA afin de simplifier nos modes de vie futurs ? Autant de questions qui nécessitent des réponses claires se basant sur l’actualité de la recherche et les projets d’ores et déjà mis en place.  

En rentrant dans l’espace dédié, ce qui marque en premier c’est l’attention portée aux décors. L’installation scénographique, qui s’étend dans toute la salle, plonge les visiteurs dans une ribambelle de formes abstraites et psychédéliques noires et blanches. Une sorte d’illusion de QR code grandeur nature. La cohérence visuelle de l’exposition se retrouve dans les plus petits détails : des motifs des bancs aux codes couleurs des jeux interactifs. La visite s’amorce avec une frise chronologique retraçant les évènements historiques ayant permis l’émergence de l’IA. Puis, d’îlot en îlot, petits et grands découvrent les multiples présences de l’IA dans nos sociétés : les véhicules autonomes, les algorithmes aidant à la création artistique, le matériel médical pour détecter des tumeurs. Çà et là, des panneaux « bon à savoir » jonchés d’anecdotes, de vrai ou faux. Le parcours se finit par la projection sur grand écran d’une danse entre humain et robot. À la sortie, un groupe d’adolescents, décidément emballés par le concept, s’adonnent à des démarches robotiques en gloussant.  

L’insoutenable légèreté de l’IA 

« Plusieurs visiteurs, sans concertation, m’ont fait remonter les mêmes remarques : l’exposition n’est ni actuelle, ni interactive », confie un employé du lieu. Même topo pour ce groupe de lycéens : « C’était très flou, un amalgame d’informations évidentes qui ne vont pas en profondeur dans le sujet. » Pourtant, la révolution qu’engendre l’utilisation exponentielle des intelligences artificielles dans nos quotidiens ne peut laisser place à un impensé. Elle nécessite une prise de conscience globale et précise pour toute la population. Se contenter de stimuler les imaginaires via la diffusion d’une vidéo d’un robot dansant avec son créateur et de jolis papiers peints ne suffit pas à mener à bien la mission que s’est donné le Quai des Savoirs : « Faire dialoguer les disciplines et croiser les approches pour imaginer des futurs désirables. » Échec encore plus flagrant lorsqu’on sait que l’on prévoit une croissance de 1400% pour le marché mondial de l’intelligence artificielle et que 83% des entreprises déclarent que l’IA est leur priorité dans les années à venir. 

L’expérience « tout public » est elle aussi ratée. Les installations manquent d’adaptation pour le jeune public tout en manquant de précision et de profondeur pour les plus âgés. À vouloir plaire à tout le monde, le Quai des Savoirs laisse de marbre. Ce n’est pas faute de manquer de partenaires potentiels proches comme l’IRIT ou l’ANITI, des laboratoires de recherche toulousains sur l’intelligence artificielle. La ville rose est pourtant un épicentre des recherches en la matière et compte dans ses rangs des dizaines de chercheurs reconnus et récompensés nationalement pour leurs travaux. Pour ce qui est du questionnement de nos rapports aux IA, là encore, des lacunes se font ressentir. On quitte l’exposition sans réponses concrètes, après avoir déambulé dans une salle démunie d’actualité de la recherche. Le lieu prend les allures d’une exposition type « Imaginons le monde de demain » qui daterait des années 80. Tout n’est pas perdu pour autant. Ouverte jusqu’au 3 novembre 2024, Double Je réserve à ses visiteurs un agenda chargé en évènements et ateliers éphémères tout au long de l’année, comme des cinés-débat ou des rencontres avec spécialistes de tous horizons. 

Crédit photo – Alixe Fourcaulx