La glottophobie est un terme très plébiscité depuis 2016 avec la publication de Philippe Blanchet Discriminations : combattre la glottophobie. Il décrit la discrimination que certaines personnes peuvent subir à cause de leur niveau de langue ou leur accent. Un phénomène très présent en France.

Le terme “glottophobie” fait son entrée dans le dictionnaire le Petit Robert en 2023. Pourtant, il est pensé dès 1998 par Philippe Blanchet, professeur d’université spécialiste de la sociolinguistique, la communication plurilingue et interculturelle ainsi que la didactique des langues. Il est utilisé pour nommer les situations de discrimination linguistique, c’est-à-dire celles basées sur certains traits et formes de langage, comme le vocabulaire ou les accents. Mais en pratique, qu’est-ce que c’est ? 

DES POPULATIONS JUGÉES POUR LEUR ACCENT

L’idée selon laquelle le bon français serait celui parlé par les classes moyennes supérieures dans la région parisienne et particulièrement répandue dans l’Hexagone. À l’inverse, les accents, en particulier les plus chantants du Sud de la France, sont régulièrement critiqués. Il n’est pas rare que des personnalités publiques qui en possèdent un voient leur crédibilité entachée auprès de l’opinion publique. Ce fut le cas de l’ancien Premier Ministre Jean Castex, originaire d’Occitanie, moqué et jugé lors de sa prise de poste en juillet 2020. Les accents du nord, tels que le Ch’ti, sont souvent l’objet de railleries, devenant la risée du reste de la France sur les réseaux sociaux. 

Mais les conséquences de ces moqueries sont plus graves qu’une simple blague. En effet, les discriminations à l’embauche liées à l’accent des candidats sont monnaie courante. Encore plus s’il est étranger. D’après l’INSEE, on compte plus de 40 % de discrimination à l’embauche envers les personnes issues de l’immigration. Une situation très présente chez les plus jeunes, dès lors qu’ils sont scolarisés. Ainsi, cela peut conduire à des difficultés de communication et de compréhension entre les parents et les enseignants. De ce fait, elle peut conduire à des comportements discriminants de la part du corps enseignant.

Il existe également des discriminations préalables à l’embauche, avec une tendance à vouloir faire perdre leurs accents aux personnes concernées dès les études. A l’université, notamment, les professeurs n’ont généralement pas d’accent et exigent souvent de même de la part de leurs élèves. Un domaine d’études où les accents sont prohibés : le journalisme. Pascal Doucet Bon, ancien rédacteur en chef du Journal Télévisé de 20h de France 2 explique d’ailleurs dans le documentaire Et la c’est le drame publié sur Arte Radio par Victoire Tuaillon le 15 mars 2018 : “au moment des sélections dans l’école de journaliste on a […] des sélections par media […] l’accent fait partie des critères de sélection” . Il ajoute d’ailleurs que les jeunes journalistes qui ont un accent sont redirigés dans leurs régions, et plutôt sur de la presse écrite car sinon avec « l’accent à couper au couteau […] on ne comprend pas ce qu’il raconte« . La discrimination linguistique est donc bien réelle dans ce domaine.

La suprématie de la langue bourgeoise parisienne dans toutes nos interactions sociales est perceptible par la considération portée aux langues régionales. Malgré une loi d’avril 2021 visant à davantage  protéger et valoriser les langues régionales, celles-ci restent minoritaires. A Toulouse par exemple, malgré l’utilisation de l’occitan comme deuxième langue dans le métro, peu de personnes le parlent et l’utilisent encore. La langue majoritairement utilisée dans la région reste le français “académique”. Dans la rue vous n’entendrez plus personne dire « Bonjorn ! Cossi va ? ». Les langues régionales sont ainsi peu prises en compte et ont tendance à se perdre au fil des génération. 

LA DISCRIMINATION LINGUISTIQUE

Depuis les années 1980, les questions de la linguistique et de la langue comme forme de pouvoir sont abordées en sociologie et en sociolinguistique. Des chercheurs et auteurs comme Bernard Lahire ou Pierre Bourdieu se sont intéressés à la signification du langage, du choix du vocabulaire et des accents. De nombreuses publications expliquent que ces éléments influencent la prestance des interlocuteurs dans de nombreux domaines. Cela rendrait une langue plus respectable qu’une autre.

« L’école est souvent le lieu principal où est cultivée, inculquée, justifIée l’hégémonie d’une certaine langue (rarement plusieurs) et d’une certaine norme de cette langue.” explique Philippe Blanchet dans “Glottophobie” dans Langage et Société en 2021. Cette hégémonie linguistique est renforcée par l’existence de l’Académie Française. L’institution a pour rôle de créer un dictionnaire officiel de la langue française et de définir quels termes doivent être utilisés. 

Crédit photo : Abaldewy, 4 avril 2015