Anticyclone, canicule, vague de froid… En France, la météo fait souvent parler d’elle. La normalisation du changement climatique fait oublier le climat des siècles passés. C’est ce qu’on appelle l’amnésie climatique… et elle est utile aux climatosceptiques.

La deuxième semaine du mois de janvier 2024 est synonyme de températures négatives et de vents glacés. L’arrivée du froid après un début d’hiver aux températures plutôt douces… ce qui fait dire aux plus frileux “mais il ne fait pas froid comme ça d’habitude ! L’an dernier je n’avais pas eu besoin de sortir mon blouson.”. Pourtant, l’hiver dernier a bien eu son lot de températures négatives, comme tous les hivers et ce malgré le changement climatique.

Ce dernier implique un réchauffement global des températures, mais les phénomènes extrêmes existent toujours, parfois encore plus qu’avant. Même si globalement le temps se réchauffe et l’hiver baisse en intensité.

Les êtres humains s’adaptent et finissent par se satisfaire de la dégradation des conditions de vie qui les entoure, jusqu’à oublier le passé. Peter Kahn, psychologue allemand, utilise en 1999 le terme « amnésie générationnelle environnementale » pour se référer à ce phénomène. Le biologiste américain Daniel Pauly avait également souligné cette tendance dès 1995 avec sa théorie du “shifting baseline syndrome”. Selon lui, les souvenirs du passé sont tronqués par des changements dans les méthodes de mesures qui rendent les données incomparables entre elles dans le temps. Parmi les formes d’amnésie environnementale, l’une d’elles concerne la comparaison entre les conditions météorologiques d’hier et celles d’aujourd’hui : c’est l’amnésie climatique.

Pourquoi oublie-t-on ?

Ce défaut de mémoire est dû à un ensemble de facteurs, principalement psychologiques. Ils sont liés aux émotions ressenties face aux changements climatiques et ses catastrophes. Les générations actuelles et futures ont besoin de s’appuyer sur des récits et des données du passé pour pouvoir se souvenir et mieux comprendre les enjeux. Sans cela, la mémoire sur le long terme s’effrite. De plus, ces changements ne sont pas linéaires ni réguliers. L’incertitude permanente qui les entoure ne permet pas de construire une histoire collective claire et définie pour éviter cette amnésie.

Les changements climatiques sont progressifs. Ils laissent le temps aux humains de s’habituer à la détérioration de leurs conditions de vie et donc de ne pas se sentir en danger face à cela, et oublier les expériences passées. Enfin, le biais de confirmation, consistant à ne retenir que ce qui va dans le sens de ce que l’on croit et qui nous conforte dans nos positions, nous amène à cette amnésie. Ce biais va de pair avec le déni, qui lui est une résistance cognitive face à une réalité perçue comme angoissante. Les changements climatiques sont donc moins perçus par les êtres humains, dont la mémoire s’altère au cours du temps et des émotions.

L’amnésie climatique, fer de lance des climatosceptiques

L’altération de la mémoire est l’une des raisons qui pousse certains à penser que le changement climatique n’existe pas. Oublier les températures passées nous fait douter du caractère exceptionnel de certaines températures ou de certaines catastrophes climatiques. Le manque de données ou la mauvaise connaissance de celles-ci engendre la transmission d’informations fausses et tronquées qui nourrissent les prises de paroles des climatosceptiques.

Chaque génération a tendance à considérer comme point de référence initial la situation de la planète qu’elle a connu à sa naissance. Elle ne prend donc pas en compte le passé de la planète dans ses comparaisons. C’est souvent le cas sur X (anciennement Twitter), où de nombreux climatosceptiques revendiquent le fait que le réchauffement climatique n’existe pas car il existe par exemple toujours des épisodes de froid, tel que celui en cours en France. Ils ne prennent pas en compte le fait que les périodes plus fraîches sont beaucoup moins intenses et longues qu’auparavant.

Outre l’amnésie climatique, la situation environnementale et écologique de la Terre doit aussi faire face à une amnésie plus généralisée. En plus d’oublier le climat et les températures qui les ont précédés, les humains ont également tendance à oublier d’autres choses. Le rétrécissement de certains animaux au fil du temps et des changements d’habitat, les changements de type de végétation avec l’installation d’espèces invasives, la présence de champs avant l’installation de zones constructibles… L’amnésie écologique est donc bel et bien réelle et plus profonde qu’un problème météorologique ponctuel.

Crédit photo : Lohine Gagnolet