Le 9 mai 2018 au matin, Guilhèm, alors étudiant en langues anciennes, a subi une violente interpellation à la sortie du métro Marengo-SNCF, après avoir été évacué de l’Université du Mirail. Une grenade de désencerclement a alors explosé sans aucun motif particulier. Gravement blessé au poumon, brûlé au troisième degré, il est emmené aux urgences mais reste placé en garde à vue sans en connaître la raison. Près de neuf mois après les faits, il n’a toujours aucune explication. Le rapport de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) n’a pas été rendu public et la version officielle reste celle d’un accident.

Il nous livre son témoignage alors que les armes policières (grenades et lanceurs de flashball) et la stratégie de maintien de l’ordre sont dénoncées par de nombreuses associations.

L’année dernière, lors de l’évacuation du Mirail, tu as été blessé par une grenade de désencerclement, peux-tu nous raconter ce qu’il s’est passé?

Oui, on était au Mirail. On se doutait que la police allait nous déloger parce qu’il y avait un syndicat étudiant qui avait porté l’affaire au tribunal (administratif, ndlr) et le tribunal avait tranché contre nous. J’avais dans mon sac de quoi me préparer à potentiellement des gaz lacrymo, je ne savais pas trop comment allait intervenir la police. Vers 4heures du matin, on s’est fait sortir manu militari de la fac, avec des coups de boucliers, des coups de matraques aussi. Ils ont dit que ça s’était déroulé sans violence mais ce n’était pas du tout le cas. Ils nous ont coincé dans le métro. Ils nous ont photographié, moi particulièrement. Quelqu’un a proposé qu’on aille rejoindre les cheminots qui nous avaient invités à discuter de ce qui se passait dans un local SNCF derrière la gare, j’ai suivi ce plan B. Quand on est sorti à la station Marengo SNCF, on s’est dirigé vers ce local.

Station de la gare Matabiau, à la sortie de laquelle l’interpellation a eu lieu (Wikipédia)

J’étais dans les premiers et soudain, des voitures se sont garées et des gens en civil sont sortis et nous ont encerclés. C’étaient des voitures banalisées. Apparemment il étaient très déterminés à nous empêcher de passer ce portail. Nous on discutait entre nous, il n’y avait pas de violence. Ce n’était pas une manifestation à ce moment là, c’était juste un déplacement d’étudiants.  Nous étions arrêtés parce qu’encerclés.

Au bout d’un moment je me suis aperçu qu’ils me regardaient, moi. Alors ça faisait un peu paranoïaque de dire aux gens, « regardez, ils me regardent moi ! ». (rires). Je l’ai précisé mais personne n’a relevé. À un moment, il y en a un qui s’approche vers moi et un autre qui s’arrête et qui dit « non, pas encore ! ». Je me dis quand même « c’est vraiment bizarre ». Je me retourne, juste le temps d’observer le décor, voir s’il y avait un échappatoire ou… A peine retourné, ils m’ont foncé dessus. En plus j’étais au milieu de la foule donc ils ont dû pousser les gens.

Ça s’est passé en quelques secondes. Mais après je ne sais pas tout, je peux raconter que ce que j’ai senti, vu et j’ai pas vu grand-chose, j’ai surtout senti les coups.

Du coup premièrement, il y a quelqu’un qui m’a tiré par le sac, si fort que la sangle elle s’est arrachée. Il y a une sangle qui ne s’est pas arrachée, je l’ai enlevé pour ne pas tomber en arrière et le policier est parti en arrière du coup parce que le sac n’était pas assez solide. Je n’ai pas eu le temps de reprendre mon souffle qu’il y en a deux autres qui sont venus sur les côtés et chacun m’a immobilisé un bras. Il y en a un autre, qui est venu par derrière et m’a étranglé en disant « je vais l’éteindre, je vais l’éteindre ! ». Il m’étranglait avec son avant-bras, il me l’enfonçait dans la glotte et ça faisait « plutôt » mal, surtout que j’avais du mal à respirer. En fait, j’avais juste un tout petit filet d’air, j’avais l’impression que j’allais m’évanouir, enfin que j’allais m’asphyxier quoi. Surtout que les mots n’étaient pas très rassurants. Après il m’a tiré en arrière donc il m’étranglait encore plus. J’essayais de dégager mon cou de son emprise mais ça ne faisait qu’empirer. Comme je me secouais un peu il y en a qui sont venus aussi, ils essayaient de me tenir les pieds je crois. Dans mon désespoir, l’instinct de survie a fait que j’ai mordu ce que j’avais devant la bouche et c’était la manche, je lui ai pas fait mal du tout. Un policier a dit « il m’a mordu ! il m’a mordu !». Et du coup comme il a dit ça, ça a justifié, j’imagine, je me suis pris des coups de poing sur le front et des coups de poing sur le crane. Je ne peux pas les compter mais au moins cinq je pense, pas par les personnes qui me tenaient, mais une quatrième personne. Donc il pouvait y avoir six personnes  sur moi.

C’est ça qui est étonnant parce que je veux préciser que je fais, pas plus d’1m65 et moins de 50kg et les personnes qui m’ont fait ça étaient beaucoup plus grandes et musclées et entraînées au combat que moi parce que je suis étudiant en lettres classiques. Je passais mes journées à manipuler des dictionnaires (rires). Au début j’avais mes lunettes mais elles sont tombées et au lieu de courir, de me défendre, j’ai eu le réflexe de rattraper mes lunettes de me les remettre sur les yeux. Bref, je n’étais pas prêt et je ne m’attendais vraiment pas à ça.

Une grenade a explosé lors de cette interpellation ? A quel moment ? 

Ce qui a arrêté les coups de poings, mon étranglement et mon immobilisation c’est une explosion. Au début, j’ai entendu un énorme bruit et en même temps j’ai eu l’impression que j’avais un truc qui rentrait dans mon poumon. J’ai interprété ça d’abord comme une déflagration et je me suis retrouvé par terre. Je pense que toutes les personnes qui étaient à côté de moi m’ont lâché.

A ce moment là, je n’arrivais plus à respirer, c’était comme si mes poumons étaient minuscules. Je pense que j’avais les poumons comprimés par le choc et j’avais très très mal. La deuxième explication qui m’est venue, c’est que j’ai cru que j’avais une côte qui s’était cassée et qui m’était rentrée dans le poumon.

Plot en caoutchouc d’une grenade de désencerclement

Est-ce que tu as vu ce qu’il s’est passé au moment du déclenchement de ce qui s’est avéré être un grenade ?

Je n’ai rien vu du tout. Comme j’étais étranglé, j’avais ma tête immobilisée en direction du ciel. Même le visage de mes agresseurs je ne l’ai pas vu.

Rapidement je suis fait traité de « connard », de « gros connard » alors que je ne comprenais pas ce qui se passait. C’était juste après l’explosion. Je ne me rappelle pas d’insultes pendant que je me faisais tabasser mais en tout cas les insultes dont je me souviens très clairement c’était quand je n’’arrivais pas à respirer, j’étais à terre. Je ne pouvais plus bouger, très clairement, j’étais immobilisé par mon état physique et je me faisais traiter de connard sans avoir aucune explication de ce qui venait de se passer. J’ai demandé pourquoi, qu’est-ce qu’il se passait, pourquoi on me traitait de connard, mais on m’a juste répondu que j’étais un connard, il n’y a pas eu beaucoup de variations sémantiques. Suite à ça, j’ai quand même essayé de leur dire que j’avais extrêmement mal, on m’a répondu que ce n’était pas assez, que je n’avais pas assez. Donc ils étaient plutôt contents que j’aie mal.

Ensuite, ils m’ont menotté alors que je ne pouvais déjà pas bouger. J’avais les cheveux longs et il y en a un qui m’a marché sur les cheveux pour m’immobiliser la tête et un autre a mis son pied contre mon dos. Je sentais une odeur de gaz lacrymogène mais pas très forte donc elle n’était pas dirigée vers moi. Elle était dirigée vers les autres manifestants qui ont été dispersés et après il y a un cordon de policiers qui s’est formé pour empêcher que les étudiants ne viennent vers moi.

Je n’ai eu aucun indice qui laissait à penser que les policiers avaient été blessés. J’ai été surpris d’apprendre qu’il y avait eu d’autres blessés parce que je n’ai pas entendu de phrases clés qui aurait exprimé le fait qu’il y en aurait d’autres, ce qui apparemment a été le cas. La police ne nous a pas tenu au courant des détails. On ne sait pas vraiment s’ils ont eu juste un petit peu chaud à la cuisse. En tout cas eux ils n’ont pas pris comme moi, ça c’est sûr.

Comment as-tu su qu’il s’agissait de l’explosion d’une grenade ?

Je l’ai su quand j’étais au sol, le mot goupille a été prononcé. J’ai entendu des mots, la phrase que j’ai reconstituée à partir de bribes c’est « il a jeté la goupille ». Là j’ai compris que c’était une grenade. Ça coïncidait avec le bruit.

Qu’est-ce qui a suivi cette explosion ?

C’est un peu ridicule mais il y a une personne qui s’est présentée comme « je suis policière et infirmière », c’est les mots qu’elle a employés, et elle m’a mis quelque chose qui s’est avéré être de la bétadine sur mes brûlures, ce qu’il ne faut pas faire d’un point de vue médical, mais bon. Elle a vu des brûlures apparemment parce que j’avais mon T-Shirt totalement déchiqueté par l’explosion.

Ils ont fini par appeler les pompiers. Quand les pompiers sont arrivés, j’ai été démenotté, à priori par la Brigade anti-criminalité (BAC).

Guilhèm à l’hôpital, quelques jours après l’explosion (crédits photo: Guilhèm)

Où as-tu été emmené ? Quel diagnostic a fait le personnel médical ? 

Finalement le camion de pompiers est parti mais mes déboires ne se sont pas terminés là ! J’ai été transporté aux urgences de Purpan, à Toulouse.

Aux urgences, j’étais à moitié entouré de personnels soignants et de policiers. Il y avait deux policiers qui m’attendaient aux urgences, qui n’avaient pas vécu ce qui venait de se passer. Ils m’ont signifié que j’étais en garde à vue. Les soignants m’ont fait une perfusion de morphine et de kétamine parce que j’avais très mal, ce qui m’a permis d’avoir moins mal au poumon et de pouvoir le gonfler un peu plus.

J’avais la police qui me regardait comme si j’allais m’échapper alors que j’étais sous perfusion. Celui qui avait l’air d’être le supérieur a sorti ses menottes et m’a menotté au lit avec le bras qui n’était pas sous perfusion. J’étais les bras écartés. Je lui ai demandé « mais pourquoi vous faites ça ? Ça n’a aucun sens ». Il m’a dit « c’est la procédure, c’est la procédure ».

Ensuite, il a fallu que je passe un scanner. J’ai entendu une vive discussion entre les personnels médicaux et les hommes en uniforme. Le personnel médical m’a sorti de la chambre, je suis passé devant les deux policiers. J’ai eu un petit peu d’humour parce que j’avais les deux bras accrochés comme Jesus-Christ, j’avais un peu de barbe, en plus j’avais un drap sur moi. J’ai dit au policier qui m’avait menotté « je vous pardonne ». J’avais pas la voix très forte, une infirmière ou un docteur a répété mes mots et a dit « il vous pardonne ! », ça l’a fait rire. Le policier qui m’avait menotté, ça ne l’a pas fait rire du tout, il a dit « je ne vous ai rien fait ». Je lui ai répondu « si, vous m’avez menotté à mon lit d’hopital alors que je suis en très mauvais point », et il a commencé à insinuer que j’étais le responsable, parce qu’il m’a dit « ouais, moi aussi j’ai des collègues qui sont aux urgences ».  J’ai trouvé ça fort de café quand même, je me faisais tabasser puis accuser de violences. J’ai refusé d’aller plus loin dans la discussion parce que j’étais un peu choqué. Là il m’a démenotté.

A quel moment as-tu pu contacter un.e avocat.e dans le cadre de ta garde à vue ?

En sortant du scanner, il y a un médecin, qui m’a très gentiment donné un bout de papier dans la main et m’a dit « c’est le numéro d’un avocat si tu as besoin ». J’ai trouvé ça extrêmement soulageant de sentir son soutien. Je ne savais même pas pourquoi j’étais en garde à vue. La personne qui était là avait dû être briefée rapidement et a dû penser que c’était évident que je sois en garde à vue. Peut être qu’elle a réellement pensé que j’avais blessé ses collègues.

Après ça, les policiers m’ont demandé si je voulais téléphoner à un avocat. J’ai fini par donner le nom d’une avocate, Claire Dujardin, l’avocate de Rémi Fraisse. Du coup j’ai deux avocates, elle et Sara Khoury.

Quelles ont été les suites pour toi au niveau de ta santé et de ta garde à vue après ce scanner aux urgences ?

Après le scanner, les médecins pensaient que j’avais la rate endommagée et il se trouve qu’une hémorragie de la rate ça peut être mortel donc faut surtout pas bouger. Donc j’étais immobilisé dans le lit. J’avais la plèvre et le poumon gauche qui s’étaient décollés et de l’air et du sang qui s’étaient mis dans l’espace. Ils se sont aperçus que j’avais potentiellement une côte qui était déplacée, une rate endommagée et ils voyaient clairement que j’avais des difficultés respiratoires. Ils m’ont transféré à l’hopital Larrey à Toulouse. L’alarme de l’ambulance se mélangeait à celle de la police.

J’étais toujours en garde à vue. Quand je suis arrivé dans la chambre, il y avait les deux mêmes policiers à l’entrée, ils se racontaient leurs vacances. Au bout d’un moment, vers 13h, ils se sont levés de leurs chaises et ils m’ont dit « on vient de nous dire que la garde à vue est levée pour raison de santé » et ils sont partis. C’est à partir de ce moment là que mes proches ont pu venir. J’étais cloué au lit ensuite pendant cinq jours.

Qu’est-ce que la police a fait dans les jours qui ont-suivi ? Une enquête de l’IGPN a été lancée n’est-ce pas ?

La police ne m’a pas laché la grappe. Dans les jours qui ont suivi, ils ont exigé que je fasse une prise de sang à visée toxicologique. Manque de pot, je ne me suis jamais drogué de ma vie, je n’ai jamais même fumé un joint de ma vie, ils sont mal tombés. Je bois même très peu d’alcool. Donc ils n’ont rien pu trouver.

Aussi, sans prévenir, il y a l’IGPN qui a débarqué deux ou trois jours après ce qui s’était passé. Ma mère a appelé mes avocates pour qu’elles assistent à l’interrogatoire. Elles étaient donc présentes. J’ai raconté, à quelques détails près, ce que je viens de dire. J’ai raconté tout ce que je savais.

Ce rapport de l’IGPN, vous savez où ça en est ?

A priori ils ont fini depuis longtemps leur rapport. Je crois que la police est au courant de ce rapport. Mais mes avocates ne l’ont toujours pas eu. Ils sont obligés normalement de le rendre public et ils ne le font pas parce qu’ils disent qu’ils le feront plus tard. Ils laissent traîner l’affaire le plus longtemps possible, je pense que c’est pour enterrer l’affaire.

Je sais même pas qui sont ces gens, si c’est la BAC, les CRS. On fait des recoupages mais officiellement on ne sait pas. On ne sait pas qui c’est, pourquoi, qu’est-ce qu’il s’est passé. Pourquoi une grenade a explosé à ce moment là ? Ça n’a vraiment aucun sens, il n’y avait pas de maintien de l’ordre à mettre en place. J’étais maitrisé avec une facilité…

La police parle d’un accident n’est-ce pas ? Qu’en penses-tu ? 

Ils l’ont dit aux médias et ils l’ont dit à mes avocates. D’ailleurs mes avocates ont appelé un commissaire assez rapidement. Ils ont tout de suite dit « c’est un accident, c’est un accident », alors que d’habitude ils ne disent rien. La stratégie publique c’était de dire que c’était un accident. Mais quand ils me parlaient, c’était pour m’accuser : soit d’avoir déclenché la grenade volontairement, alors que j’avais les deux mains immobilisées, soit parce que je me serais secoué et la grenade aurait explosé.

La version de la police me semble très absurde car pour qu’une grenade explose toute seule, c’est compliqué. D’abord tu tires la goupille; il ne suffit pas de souffler dessus pour qu’elle s’arrache. Secondo, il faut lâcher la manette, tant que tu ne lâches pas le levier ça n’explose pas. Il y a au moins une des deux actions qui n’est pas accidentelle, ce n’est pas possible. Et c’est une grenade de désencerclement, tu l’utilises quand tu es encerclé. Pas contre une personne qui est toute seule !

Chose qui est plutôt étrange, c’est que ce ne sont pas les mêmes personnes qui utilisent des grenades de désencerclement et les mêmes personnes qui procèdent à une interpellation. Normalement, une interpellation c’est « monsieur, veuillez nous suivre », c’est pas « je te tabasse et je te lance une grenade ». Tu n’es pas censé interpeller quelqu’un avec une grenade dans la poche. Même si je ne sais pas s’il y a des lois pour ça, mais s’il n’y en a pas, il faut absolument en sortir. S’ils ne savent pas s’en servir… s’ils ne sont pas formés…

Quelles ont-été les conséquences physiques pour toi après cet épisode ?

L’IGPN m’a interrogé alors que j’étais assez fatigué. D’ailleurs m’ont état s’est empiré juste après. La nuit d’après, j’ai plus de sang qui a coulé. Et, alors qu’ils avaient décidé de ne pas faire de drainage, c’est-à-dire faire passer un tuyau entre la plèvre et le poumon, là ils ont décidé de passer à l’acte et de faire « un geste chirurgical ». J’ai eu de graves douleurs pendant la nuit donc j’ai subi un drainage. J’ai senti le tuyau s’enfoncer, c’était vraiment horrible.

Suite à l’étranglement, j’ai eu mal pendant plus d’un mois à chaque fois que je déglutissais. À un moment, ce n’était plus rentable de prendre des anti-douleurs parce que le fait de les avaler me faisait plus de mal que de bien.

D’ailleurs il y a un médecin légiste de la police qui est venu à un moment aussi. Il a constaté que j’avais des hématomes sur tout le front (voir photos), que j’avais la côte endommagée, une côte légèrement déplacée, c’était tout gonflé, j’avais des brûlures. Il a constaté que j’avais aussi des hématomes à la gorge. A l’hôpital, ils ont fait passer une caméra dans mon nez pour aller dans la gorge pour constater que j’avais aussi des hématomes à l’intérieur de la gorge. Donc mon dossier médical est très complet et révèle bien ce que j’ai vécu. J’ai un dossier chez moi, il est plus grand que la table.

Aujourd’hui j’ai tout repris. J’ai des grandes cicatrices dans le dos et sur le bras mais sinon à priori c’est fini.

Quelles sont les conséquences spécifiques aux grenades de désencerclement ?

Ça explose et ça lance des petits morceaux partout. Ça peut déchiqueter la peau. Alors moi c’est curieux parce que je n’ai eu aucun débris planté dans ma peau, j’ai juste des brûlures, et un choc, un énorme choc. Mes dégâts sont plus à l’intérieur qu’à l’extérieur. Si ce n’est que j’ai des brûlures du deuxième et troisième degré. Il y aussi des sortes de plots de caoutchouc qui sont balancés, mais j’ai eu de la chance en quelque sorte parce que je n’ai pas eu la peau lacérée par les débris.

Ce que j’ai envie de préciser c’est que la grenade m’a peut être sauvée la vie, même si elle a failli me tuer, parce que je ne sais pas comment ça se serait fini si elle n’avait pas explosé. Parce que j’étais vraiment en mauvais point : j’étais en train de me faire tabasser, j’étais en train de m’asphyxier et ils n’avaient pas l’air de se soucier du fait que je reste en vie. C’est ça qui est inquiétant, il y en a qui meurent pendant des interpellations.

Potentiellement j’ai échappé à la mort grâce à la grenade parce que c’est elle qui a interrompu tout ça. C’est passé de « on te tabasse » à « on te passe de la bétadine », en t’insultant et en te piétinant les cheveux, mais bon, c’est mieux que se faire tabasser.

Aujourd’hui, Guilhèm n’a toujours aucune explication de la part de la police (crédit photo: Guilhèm)

Où en est la procédure ? Est-ce que tu as porté plainte ?

J’ai dit à l’IGPN que je pensais porter plainte. Néanmoins, on a réfléchi avec mes avocates, on l’a rédigé mais on a décidé d’attendre d’avoir plus d’explications sur ce qui s’était passé avant de porter plainte. Il se trouve qu’on dirait que la police et le procureur se comportent comme si j’avais porté plainte.

Il y a trois enquêtes en fait : il y a l’enquête de l’IGPN, il y a l’enquête de la sûreté départementale de moi en tant que victime et l’enquête de la sureté départementale de moi en tant que coupable. Coupable de quoi ? A priori, quand j’étais dans le métro avec les autres étudiants, d’avoir débranché une caméra. Après mes avocates me disent qu’ils peuvent très bien rajouter ce qu’ils veulent, ils peuvent dire que je me suis rebellé, que j’étais violent.

Mon but ce n’est pas de chercher le mec qui m’a fait ça pour lui en faire baver, ce n’est clairement pas ma démarche. Je pense clairement que le mec qui a fait ça il faut qu’il change de métier et qu’il fasse quelque chose de plus constructif de sa vie, ouvrir une libraire peut être (rires). Mais je sais que de toute façon il n’en bavera pas parce que quand tu tues quelqu’un et que tu es policier tu bénéficies d’un non-lieu, c’est déjà arrivé. 

Ce qui m’intéresse ce serait que l’Etat arrête d’armer ses policiers comme ça, que l’Etat interdise les grenades de désencerclement parce que c’est extrêmement dangereux. Apparemment c’est même dangereux pour les policiers. La police a intérêt à ce qu’on interdise les grenades de désencerclement.

Tu m’as parlé de vidéos, sur lesquelles on voit justement les événements et notamment la dispersion des autres manifestants pour t’isoler, d’où viennent-elles et que montrent-elles ?

Il se trouve que parmi les étudiants qui occupaient, il y avait un étudiant de l’ESAV (Ecole de cinéma de Toulouse ndlr) qui était là avec son matériel et qui a décidé de filmer tout ce qu’il pouvait. On voit très bien qu’ils ont utilisé des gaz lacrymo pour éloigner les autres étudiants, ce qui a très bien fonctionné. Et aussi le fait qu’un cordon de policiers s’avance vers eux, armés de flashball.  On le voit très bien sur la vidéo : d’un coup je suis écarté du groupe, au moment où ils m’ont étranglé ils m’ont tiré en arrière.

Donc à ce moment là c’est curieux quand même qu’une grenade ait explosé parce qu’il n’y avait que moi, j’étais tout seul et j’avais déjà cinq ou six personnes sur moi; j’étais facile à maitriser. Puis on entend le « BOUM » mais on ne voit rien.

Après cet épisode est-ce que tu te sens de retourner en manifestation ?

Je l’ai déjà fait parce qu’à vrai dire, ça ne m’encourage qu’à aller plus en manif. Ce traumatisme, au lieu de s’exprimer par une peur, il s’exprime par une colère en fait. Ils n’auraient pas pu mieux faire pour me « radicaliser ». J’étais un étudiant en langues anciennes, quelques mois avant je disais aux manifestants que j’avais envie de passer mes partiels plutôt que de bloquer l’établissement. Je n’étais vraiment pas le mec le plus politisé au monde, pas le meneur du mouvement.

Là pour le coup, autant j’ai toujours entendu parler des violences policières, je savais qu’elles existaient, je connaissais les témoignages, je savais pour Rémi Fraisse, Zyed et Bouna, Théo et d’autres. Mais quand tu les subies, tu les comprends encore mieux. Je les ai ressenties et j’ai une conscience plus forte au niveau des violences policières, ça me révolte d’autant plus.

Du coup je manifeste, je continue à manifester. D’ailleurs je soutiens les Gilets jaunes. Je suis épaté par la non-violence des Gilets jaunes, leur maîtrise. Parce qu’ils sont victimes d’énormément de violences de la part de la police et ils sont d’un pacifisme, d’une patience que je trouve magnifique. Parce que la plupart ce ne sont pas des gens qui sont contre la police. Je suis absolument du côté des Gilets jaunes pour ça.