Alors que la préfecture de Toulouse poursuit ses expulsions de logements occupés, la mise en vigueur de la nouvelle loi Kasbarian-Bergé accentue davantage les difficultés des personnes en situation de mal-logement. En pleine trêve hivernale, Julien, membre de l’association Droit Au Logement de Haute-Garonne, revient sur cette période charnière de la lutte contre la précarité et le mal-logement.

La Préfecture de Toulouse a procédé en fin d’année 2023 à l’expulsion de plusieurs lieux occupés. Combien d’expulsions avez-vous recensé sur l’année, et notamment depuis le début de la trêve hivernale ?

C’est toujours un peu compliqué pour ce qui concerne les chiffres. Nous avons des permanences chaque semaine.  C’est par ce biais qu’on constate l’augmentation d’expulsions, de gens qui se retrouvent à la rue… En général, c’est avec les données de la Préfecture qu’on peut ensuite communiquer sur le nombre d’expulsions, parce que c’est elle qui donne les autorisations pour ces procédures.

On constate tout de même qu’un effort a été fait pour expulser les personnes des squats, notamment cet été et après la rentrée. En ce qui concerne les expulsions locatives, nous n’avons pas de retours ou de personnes qui sont venues nous voir pour ça pour le moment.

Et par rapport aux expulsions de squat, notamment, est-ce que vous pensez que c’est directement lié à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi Kasbarian-Bergé ?

Alors avant tout, les squats ne sont pas protégés par la trêve hivernale, ça ne concerne que les expulsions locatives. Ensuite, vis-à-vis de la nouvelle loi, c’est intéressant de faire le lien parce qu’on est toujours en train d’observer et d’analyser sa mise en œuvre. Il y a des zones de flou sur la notion de “domicile”, on ne sait pas exactement comment elle va être appliquée en ce qui concerne les squats. Mais ça envoie un message clair : il est plus facile d’expulser les gens qui vivent en squat et on peut davantage les pénaliser. 

La loi Kasbarian ne s’applique qu’aux nouveaux squats. Elle n’est pas rétroactive. Or vous avez beaucoup de squats qui sont là depuis un an, deux ans, trois ans, ou avant la mise en vigueur de la loi. Et ceux qui se sont fait expulser cet été, étaient des squats qui existaient déjà depuis un certain temps. Donc il y a un intérêt pour les pouvoirs publics à vider les anciens squats pour appliquer la nouvelle loi si jamais des personnes en créent de nouveaux pour se mettre à l’abri.

Avec la vague de froid qui revient, la mairie et la préfecture ont annoncé mettre en place des dispositifs renforcés, avec un accès plus large et plus simple à des logements d’urgence. Selon vous, avec ce que vous constatez, ont-ils mis de réelles mesures en place, ou c’est plutôt une opération de communication ?

C’est un peu des deux. Pour la Préfecture c’était prévisible, parce que chaque année ils font ça. Ils annoncent des places supplémentaires pour l’hiver, mais elles ne sont jamais suffisantes. C’est un peu le geste obligatoire en cette période de faire ce genre d’annonce mais c’est essentiellement de la communication. La preuve : l’appel à projet de la Préfecture a difficilement trouvé des associations pour répondre à cette mission, et ce ne sont finalement qu’environ 150 nouvelles places qui ont été mises à disposition, au lieu des 200 annoncées.

Cette année, la mairie a demandé à la Préfecture d’avoir une centaine de places supplémentaires dans l’ancien Centre d’Essais Aéronautique de Toulouse (CEAT) à Jolimont. Donc cette mesure est positive, et on s’en réjouit évidemment. Mais nous pensons tout de même que cette mesure a été prise en réaction aux occupations de quelques écoles par des enseignants et des parents d’élèves, et que ce dispositif n’aurait pas vu le jour sans cela.

Vous mentionnez un appel à projet, pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là ?

Concrètement, ils sous-traitent de plus en plus l’hébergement d’urgence – voire l’hébergement tout court – aux associations. Nous déplorons ce mode de fonctionnement car ils leur transfèrent la responsabilité qui incombe initialement à l’État. Et les associations s’en plaignent, parce qu’on leur en demande toujours plus alors que ce n’est de base pas leur rôle. C’est le cas notamment de la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS), qui a publié pas mal de communiqués dernièrement pour alerter sur cette tendance et la dénoncer.

Ce qui risque de se passer au bout d’un moment, c’est que des associations refusent de répondre à ces appels. Et si ni l’État, ni les associations ne remplissent ces missions, on va se retrouver dans une impasse. Pour nous, c’est symptomatique d’un désengagement total de l’État, sur plein de sujets : sur le social, sur le droit à l’hébergement d’urgence, le droit au logement…

Donc même pendant des périodes délicates, comme la trêve hivernale, les pouvoirs publics ne font pas preuve d’une mobilisation plus importante pour vous assister dans votre rôle d’accueil et d’assistance ?

Effectivement, cette tendance s’observe depuis une dizaine, voire même une vingtaine d’années. Normalement, si le droit est respecté, il ne devrait pas y avoir de personnes dans la rue. Dans la réalité, il y a encore beaucoup de gens qui dorment dehors donc le budget alloué n’est pas assez important. 

L’État se désengage de plus en plus depuis des années et c’est dû à une question de budget. Au niveau national, les gouvernements veulent faire des économies, mais par conséquent, il est impossible d’être sur tous les fronts avec un budget restreint. On le voit notamment sur l’état des hôpitaux ; si le système de santé est autant en difficulté, vous vous doutez bien que les services dédiés aux personnes sans-abris ou en situation de mal-logement le sont encore plus.

Patrice Vergriete, ministre du logement, a fait part de sa volonté, ce lundi 8 janvier, de vouloir renforcer le système d’hébergement d’urgence et a annoncé débloquer 120 millions d’euros supplémentaires pour le faire. Selon vous, est-ce qu’il faut se réjouir d’une telle mesure ou est-ce que c’est plutôt symptomatique de l’intensification des difficultés pour avoir accès un logement ?

Oui on va toujours se réjouir d’une telle annonce parce que c’est ce que nous attendons des pouvoirs publics. Maintenant, il faut voir comment cet argent va être utilisé concrètement.

C’est une mesure qu’on peut saluer dans le sens où de l’argent est alloué pour des solutions d’hébergement. Par contre, ce qui est dénoncé, c’est qu’on traite toujours le symptôme et jamais la cause du problème. Tant qu’on ne s’attaque pas aux causes de la précarité, ça va continuer. 

Le principal point de crispation de cette loi vient aussi du fait qu’elle élargit la définition légale du délit de squat.

Tout à fait ! La nouvelle loi sur les expulsions locatives change considérablement la donne en criminalisant le maintien dans un logement après avoir été déclaré expulsable par le Préfet, qualifiant cette action de squat. En vertu de cette loi, rester dans le logement au-delà de la dernière phase de la procédure expose à des amendes, des peines de prison et même à l’inscription dans le casier judiciaire en cas de prolongation. Avant cette législation, les personnes maintenaient parfois leur présence temporaire pour trouver des solutions et s’organiser, mais désormais, cela est passible de sanctions sévères.

La loi élimine également plusieurs phases qui permettaient aux individus de se justifier et de faire preuve de bonne foi pour éviter l’expulsion. La prévention des expulsions devient ainsi plus difficile en raison de l’abandon de ces leviers dans la nouvelle loi. Les conséquences de ces changements sont susceptibles d’entraîner une augmentation significative des expulsions en 2024, marquant une année charnière dans l’évolution des procédures d’expulsion.

Est-ce que vous, et d’autres associations qui œuvrent dans ce domaine, avez une manière de vous préparer et d’appréhender l’application de cette nouvelle loi ?

C’est un peu comme toutes les luttes sociales et politiques. Avant que la loi ne passe, on cherchait à faire pression afin de la modeler au mieux pour qu’elle réponde adéquatement aux problématiques. Mais la loi est maintenant passée, et donc on ne peut plus l’empêcher. Le levier qui nous reste désormais réside dans l’application de la jurisprudence. C’est-à-dire, au niveau des associations, essayer au maximum de les protéger et de faire valoir leur droit afin d’avoir des jurisprudences qui soient plus favorables.

On est toujours en train de voir comment la loi va être appliquée concrètement. Ça fait partie des combats qu’on mène. On est en contact avec les avocats et les personnes concernées par cette loi. On a constamment des discussions pour voir comment elle s’applique sur le terrain.

Ce que la loi n’anticipe pas, c’est qu’avec ce durcissement des procédures, il se peut que des gens se mettent à résister encore plus, car ça crée une violence sociale inouïe. Et c’est également dangereux pour nous car on peut beaucoup plus facilement se retrouver dans le viseur de la justice pour des motifs lunaires comme de l’incitation au squat ou autre…

Comment résumeriez-vous la loi Kasbarian-Bergé? 

Il y a deux approches politiques distinctes dans la gestion de la précarité. Soit vous combattez les pauvres, soit vous combattez le phénomène de pauvreté. Dans ce cadre, le député Kasbarian pense qu’en empêchant les squats, il empêchera les gens de squatter et par extension d’être pauvre. 

Pour moi c’est juste une loi anti-pauvres qui protège les propriétaires – une minorité d’entre eux qui plus est – face à un phénomène en réalité extrêmement limité. Le squat n’est pas un phénomène massif, il est beaucoup plus médiatisé que ce qu’il mérite. Cette loi, dans son ensemble est un non-sens absolu en matière de gestion et de combat de la précarité.

Photo : 36 sans-abris campent au pied de la Basilique Saint-Sernin afin de faire valoir leur droit à être logés, février 2016, © DAL31