Le Front national, parti réactionnaire ? Pas si l’on en croit le portrait-type de son nouvel électorat. De 6 % en 2007, les jeunes ont été près d’un sur cinq à glisser un bulletin orné de l’oriflamme dans l’urne lors de la dernière élection présidentielle. Une divine surprise pour un parti longtemps plébiscité surtout par les seniors et qui fête début octobre ses quarante ans d’existence.

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Beaucoup parlent d’effet Marine. Depuis que l’ancienne avocate a repris, en janvier 2011, les rênes du parti familial, la « dédiabolisation » tourne à plein régime. Foin de Jean-Marie Le Pen et de ses sorties médiatiques (in)contrôlées laissé durant toute la séquence politique de la présidentielle loin des feux de l’actualité ; au placard les anciens grognards du courant populo-nationaliste issus de l’entourage villiériste, mégretiste ou encore des quelques groupuscules qui gravitent autour ; terminée enfin la rhétorique nauséabonde faite de provocation ; le Front national cherche désormais à s’acheter un brevet de respectabilité et tente de convaincre les plus récalcitrants de son adhésion à l’arc républicain.

Première cible : les 18-25 ans. « Les jeunes osent de plus en plus franchir l’ancien cordon sanitaire que les autres partis construisent autour de nous, explique Fabien Bourel, responsable départemental du Front national de la jeunesse, en quelques années, le nombre d’adhésion dans cette tranche d’âge a été multiplié par trois. Cela représente plusieurs dizaines de milliers en France. » Un chiffre toutefois invérifiable auprès des instances du parti, partisanes d’une politique de la discrétion concernant ses adhérents.

L’économie d’abord

Alors certes, si l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, flanquée d’une nouvelle équipe dirigeante, a donné un coup de jeune à la structure partisane et notamment à son catéchisme idéologique, d’autres facteurs ont concouru à amener certains jeunes dans le giron FN. Principal motif pour les primovotants : la crise. Encore et toujours. « En cinq ans, la situation économique, sociale et sociétale de la France s’est terriblement dégradée. On se sent délaissé par le politique qui paraît impuissante et à la solde du capital. C’est pourquoi j’ai enfin ouvert les yeux et me suis empressé de rejoindre les rangs frontistes », se justifie Alex.

Loin de l’étiquette anarchisante ou de la seule posture contestataire que le discours médiatique leur prête, les nouveaux venus dans la galaxie Front nationale croient encore en la politique. Pas celle menée depuis cinquante ans par « l’UMPS » qu’ils dénoncent comme : « un jeu de dupe entre des béni-oui-oui qui sont d’accords sur tout et défendent la bien-pensance des élites mondialistes » dixit Emilien, sympathisant FN. Bonnet blanc et blanc bonnet, très peu pour eux. Tous voient en Marine Le Pen, la défenseure du Politique avec un grand P, capable de tenir tête au CAC 40, à l’UE ultralibérale, au marché financiarisé, et tant pis si pour l’heure la lutte est plus rhétorique que programmatique[[Voir l’interview de Marine Le Pen faite par Anne-Sophie Lapix pour l’émission Dimanche +]]. Dénoncer c’est déjà agir pensent-ils. Fabien Bourel ne dit pas autre chose : « Aujourd’hui, le thème de la sécurité, qu’elle soit économique avec le chômage ou physique, ici les violences, incite la génération Y à venir s’encarter chez nous puisque le FN propose des solutions à rebours de la doxa défendue par les partis majoritaires. »

Façon de dire donc que le vote Le Pen est désormais un acte d’adhésion pour un cinquième des 18-25 ans, malgré un programme jeunesse assez ténu (école obligatoire jusqu’à 14 ans, crédit impôt logement, gel des prix des mutuelles, gratuité des frais de scolarité) dû à la volonté du parti de ne pas catégoriser la population. Alex confirme d’ailleurs : « Il n’y a pas plus vote d’adhésion que le vote FN, car le jeune doit dépasser toute la propagande négative diffusée à longueur de journée, avoir fait l’effort d’entendre d’autres sons de cloche, et de franchir un des derniers tabous en place. »

L’avenir derrière eux

Seulement si les « Jeunes de la Marine » – surnom donné lors de la campagne présidentielle aux militants cadets de l’oriflamme –, dénoncent en choeur la pensée unique qui a cours au sommet de l’État, ils se retrouvent surtout sur un autre point commun : le pessimisme quant à l’avenir. Dans Enquête au cœur du nouveau Front national, le sociologue Sylvain Crépon pense que : « nous sommes en présence d’une génération qui ne croit plus dans la France du progrès social alors qu’elle a profité de l’ascenseur social.  » Des propos qui font écho à ceux tenus dans Marianne par Anne Muxel, spécialiste du vote jeune : « L’idéologie n’est plus le ressort d’un choix politique. Le ressort, c’est la peur et l’anxiété, la confrontation avec un monde dont on ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants. »

Dès lors, outre le mantra économico-social professé par le parti mariniste, le discours ethniciste à la sauce migratoire et identitaire trouve également preneur chez les jeunes générations à l’image d’Emilien, convaincu d’être le dindon de la farce d’un système d’assistanat qui l’oublie : « La France est un pays qui favorise les très riches, les très pauvres et les minorités. Quid de la classe moyenne inférieure ? Les prestations sociales, la solidarité nationale s’adressent aux même catégories de population. Pire, le système marche sur la tête, il n’incite guère au travail : à mi-temps avec mon RSA, je gagne autant qu’à plein temps et je peux même bénéficier de la CMU. Le calcul est vite fait.  » Délaissé par le système donc, autant en profiter se dit-il.

Paradoxe : cette attitude de « passager clandestin »[[Théorie économique du « free-rider « développée par Marcus Olson où un individu rationnel vise à profiter au maximum des biens publics en limitant autant que faire se peut sa participation financière.]] qu’il a, est celle-la même qu’il reproche à une partie de la population. Et de dénoncer tout-de-go : « le communautarisme comme principal mal qui ronge la République. […] Aujourd’hui, on assiste à un remplacement d’une population par une autre à la culture totalement antinomique ». Un constat remis en question notamment par les recherches de l’historien Gérard Noiriel notamment dans son ouvrage Le Creuset français où toute idée de peuple pur est battue en brèche.

Retour aux sources

Quoi qu’il en soit, cette tendance au repli sur soi – anti-mondialisation, anti-Europe, pro-protectionniste, pro-nationaliste – exprime moins une peur de l’autre, de l’étranger comme cela est souvent claironné qu’une perte de repère dans un monde ouvert aux quatre vents du libéralisme. Peur du chômage, des délocalisations, du désengagement de l’État, de la disparition des figures traditionnelles de l’autorité (famille, religion, école républicaine, mariage…), remise en cause des anciennes solidarités… autant de problématiques qui préoccupent les jeunes soldats de l’armée bleue marine, quitte parfois à ce qu’un vernis racialiste voire raciste ne vienne s’y coller. « Je ne suis pas raciste, je ne l’ai jamais été. Seulement, je ne conçois pas que des Français d’origine étrangère soient plus privilégiés que moi, du seul fait de leur origine. La discrimination positive est un gadget électoraliste néfaste  » assure Eric, proche des cercles d’extrême-droite.

Effet du temps, cette rhétorique, autrefois circonscrite au parti frontiste et à ses ramifications, investit progressivement la droite républicaine. Les digues entre les deux formations de droite ont sauté, notamment chez leurs sympathisants, ce que montre le dernier sondage Ifop en date[[http://ump.blog.lemonde.fr/2012/10/04/ifop-a-part-sur-leurope-sympathisants-ump-et-fn-ont-des-opinions-similaires/]]. La faute à cinq ans de sarkozysme, sensibilité politique façonnée en partie par Patrick Buisson, ancien directeur de la rédaction de Minute, qui théorisa lors du second tour de la présidentielle le virage droitier du candidat-président ? La faute également aux ambassadeurs de la Droite populaire, courant UMPiste d’obédience nationaliste et à sa force de frappe ? La faute enfin à l’avènement d’une droite mainstream décomplexée avec à la tête Jean-François Copé[[Auteur du livre Pour une droite décomplexée]] lequel n’a pas hésité à agiter le chiffon rouge des divisions en reprenant les éléments de langage frontistes dernièrement avec la dénonciation d’un « racisme anti-blanc » ? Si l’on y ajoute en prime, le soudain rapprochement de Nicolas Dupont-Aignan, président du parti souverainiste Debout la République ou les ralliements récents de l’avocat Gilbert Collard et de l’énarque Florian Philippot, peu surprenant donc que le Front national gagne des parts de marché chez les primovotants.

Malgré la normalisation en marche, le FN reste une force politique vouée aux gémonies du cercle de la raison. Seule stratégie suivie: faire tant bien que mal sa pelote électorale de quelques sorties langagières[[http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/09/22/pour-jean-marie-le-pen-interdire-le-voile-et-la-kippa-serait-sage_1764133_3224.html]] dûment relayées par le media circus comme le montre Alexandre Dézé dans son ouvrage Le Front national : à la conquête du pouvoir ? En clair, la « dédiabolisation » est plus un hochet de communicant qu’une véritable politique de rénovation idéologique. Tout changer sur la forme, pour préserver l’ADN historique du parti, voici la méthode Coué du FN nouvelle génération.