Jazz sur son 31, c’est le rendez-vous culturel automnal pour les fans ou amateurs de jazz. Organisé par le Conseil général de la Haute-Garonne, le festival de déroule du 11 au 26 octobre dans plus de 20 communes du département. « Univers-Cités » a rencontré Philippe Léogé, programmateur du festival mais aussi grand jazzman français, pianiste, compositeur et arrangeur, l’occasion d’en savoir davantage sur la situation du jazz à Toulouse.

Philippe Léogé, programmateur du festival Jazz sur son 31

“Univers-Cités” : C’est la 27ème édition du festival Jazz sur son 31, est-ce que vous pouvez revenir sur le début du festival et les évolutions qu’il a connues ?
Philippe Léogé : On est en 1987, une période où il y a pas mal de clubs de jazz à Toulouse, un public fervent de ce genre de musique mais aucun événement. Le président du Conseil général change, je lui propose avec le chargé de production d’aider à la création d’un festival. On a commencé avec quatre ou cinq jours et le festival a grossi au fil des années. Maintenant, on est à plus de quinze jours et le Conseil général est passé de principal subventionneur à organisateur. Au moment de la vingtième édition, on a aussi innové avec une salle “magique miroir”. Je me suis dit, l’histoire du jazz ne s’est pas faite dans des grandes salles mais dans les clubs. On a donc créé un cœur d’âme avec un rendez-vous quotidien au sein du Conseil général que l’on a rebaptisé l’Automne club et qui fait vraiment club de jazz.

Dans la programmation du festival, on retrouve à la fois des groupes connus à l’international mais aussi des groupes plus locaux ; quelle est la politique du festival par rapport à cela ?
C’est très important pour nous. A Toulouse, il y a d’excellents musiciens. On ne peut pas forcément les faire passer sur la même scène que les artistes internationaux, car le public a l’occasion d’aller les écouter au Mandala ou sur d’autres scènes toulousaines. En revanche, on les fait jouer dans le département, dans des endroits un peu plus intimistes. J’y tiens énormément, c’est très bien que des personnalités viennent d’Outre-atlantique, c’est quand même là-bas que le jazz est né. Mais je tiens à ce que ça ne dépasse pas 40% de la programmation car il y a aussi du très bon jazz européen. On fait venir des Norvégiens, des Allemands, des Italiens, des Espagnols… Et puis on a du jazz français avec une identité forte et beaucoup d’artistes de Paris. Là-bas, il y a le plus d’effervescence mais les artistes sont souvent des provinciaux. Rémi Panossian, Pulcinella, Frédérika, Nicolas Gardel, ce sont tous des Toulousains et on pourrait faire un festival de très bon niveau juste avec eux !

Le O’Bohème, L’Evasion ou encore le Rest’O jazz font régulièrement des soirées jazz et vous parliez tout à l’heure du Mandala qui a menacé de fermer ses portes l’année dernière ; quel est l’état de la scène jazz à Toulouse ?
Dans les années 1980, Toulouse était une des villes les plus actives avec une douzaine de clubs de jazz alors que maintenant il ne reste qu’un club et demi, on va dire. C’est aussi pour cela qu’on a créé le festival. Il y a eu cette histoire avec le Mandala car il y avait beaucoup d’éclectisme et c’est parti un peu dans tous les sens pendant quelques années. Ce n’est pas pour être intégriste du jazz, mais à un moment le public a besoin d’aller dans un endroit où il sait ce qu’il va trouver. C’est comme la restauration, on ne peut pas aller dans un restaurant qui fait cuisine vietnamienne le mardi, choucroute le mercredi et paella le dimanche. A un moment donné, certains bars ont fait moins de recettes, donc ils ont voulu faire des trucs pour les jeunes qui veulent faire la fête avec des soirées plus électro, et pour se donner bonne conscience, faire des soirées blues le mardi et du jazz le mercredi. Mais ça ne marche pas. Le Mandala, c’est un genre de laboratoire indispensable à la vie toulousaine mais c’est vrai qu’il n’y a pas tellement de lieux.

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L’année dernière le thème portait sur les cordes, pourquoi avoir choisi cette année le thème des jazzwomen ?
Ça fait quelques années qu’en allant acheter des disques dans les rayons jazz, je voyais des chanteuses, des chanteuses et encore des chanteuses, à en oublier presque les chanteurs et surtout que le jazz c’est aussi du piano, de la contrebasse, du saxophone… c’est quand même une musique instrumentiste à la base. Depuis dix, quinze ans, il y a de plus en plus de « nanas » qui jouent, il y a des batteuses, des trombonistes, des pianistes super douées. Et puis il y en a qui sont leaders de groupes et c’est pour ça que j’ai pris ce prétexte pour en parler et dire : il y a des « nanas » qui jouent. Donc dans la programmation, 80% des groupes ont une présence féminine.

A ses débuts, le jazz était aussi une manière de revendiquer une certaine lutte raciale, est-ce qu’aujourd’hui on trouve encore des messages à caractère politique dans le jazz ?
On est moins investi, c’est sûr, mais en même temps, on n’est plus dans les années 1970. J’ai l’impression qu’il y a un peu moins d’humanisme, plus d’indifférence et de « je m’occupe de ma carrière”. Après le positionnement des noirs américains, il y a eu le free jazz, une sorte de libération avec les Black Panthers et les Black Muslims. Ils ont créé le mouvement be bop contre les blancs qui jouaient chez les « bourges » alors que les blacks étaient relégués à jouer dans les bars de pin ups. Ils ont inventé une musique très difficile à jouer techniquement et ils jouaient encore plus rapidement quand un musicien blanc essayait de jouer avec eux. Il y a toujours eu ce genre de conflit, mais plus maintenant.

Le jazz a évolué, du jazz classique au free jazz en passant par le be bop, comment voyez-vous l’avenir du jazz et pensez-vous qu’un mélange entre le jazz et l’électro serait une évolution possible ?
Alors d’abord, pour moi, le jazz n’est plus un style de musique sinon un état d’esprit. Par exemple, samedi soir le concert de Tigran Hamasyan à Odyssud. : des gens en sortant de là m’ont dit : “Vous pensez que c’est du jazz ?”. Ce que je sais c’est que Tigran est un des jeunes pianistes jazz et qu’il révolutionne le piano et il confectionne la musique de demain. Il faut savoir que dans les années 1940 quand Charlie Parker a créé le mouvement be bop, un mouvement classique du jazz aujourd’hui, beaucoup de personnes disaient à l’époque que ça n’était pas du jazz.
Je pense aussi et en même temps j’espère que la musique et le jazz vont évoluer vers le silence avec beaucoup moins de notes, vers des choses plus planantes, qui touchent plus les sens, une musique plus cool, zen. Alors c’est peut être une vision de baba cool, mais pour moi ce qui est important aujourd’hui, ce n’est plus « qu’est-ce que tu joues », mais « d’où tu joues, qu’est ce que tu amènes comme histoire, d’où tu viens ». L’état d’esprit du jazz le permet car il est basé sur les rencontres dans l’improvisation, la conversation spontanée, c’est ça qui est intéressant. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas danser ou qu’il n’y a pas de tempos rapides, mais qu’il y a plus de partage.