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Le 19 octobre dernier, Sciences Po Toulouse a donné à Mathieu Kassovitz l’occasion de parler de son film, « L’ordre et la morale », présenté la veille en avant-première dans la ville rose avec près de 150 places données aux étudiants de l’IEP.

Le film raconte la prise d’otage en 1988 de 30 gendarmes français par des indépendantistes Kanaks. Face à cette attaque, l’État français, alors en période de cohabitation, avait décidé de faire venir 300 militaires. (Voir la bande-annonce)

Présentée par Olivier Philippe, enseignant-chercheur à Sciences Po Toulouse, cette conférence a permis de poser de nombreuses questions au réalisateur français :

Que pensez-vous de l’intervention de l’armée à Ouvéa ?

Mathieu Kassovitz : C’est anti-constitutionnel, puisque la loi française ne permet pas à l’armée d’intervenir dans des conflits civils sur le territoire français. Dans ce cas là, le GIGN peut intervenir. Dans cette affaire, comme en Algérie, ce qui s’est passé est inconstitutionnel. Vous imaginez que l’armée est arrivée et a tapé sur des Kanaks qui voulaient être indépendants tout en leur disant qu’ils étaient Français.
Ainsi, c’est un sujet qui traite autant de la démocratie que du fonctionnement des prises de décisions au sommet de l’État. Cette histoire, tout comme Octobre 1961, est un mensonge d’État car la version officielle est différente de la réalité. On a donc le devoir de se souvenir de cette histoire.

Comment vous êtes-vous intéressé à cette histoire ?

L’enquête qui a été racontée par la Ligue des Droits de l’Homme en 1989 était passionnante et il y a ce personnage au milieu, Philippe Legorjus, et ce peuple Kanak qu’on dit terroriste. Après il y a la rencontre avec la Nouvelle-Calédonie. Au-delà de ça, c’est un film d’action, un film politique, une histoire humaine, un drame shakespearien, une tragédie grecque, d’où mon intérêt pour ce sujet !

Vous vouliez rendre une humanité aux preneurs d’otages et aux Kanaks, mais vous déshumanisez les politiques et l’armée. Pourquoi ?

L’armée est par naissance déshumanisée car, le principe, c’est d’avoir des soldats qui répondent à des ordres sans réfléchir. Pour moi, ce n’est pas un univers qui amène à la réflexion, donc je ne peux pas humaniser l’ensemble des militaires. Quant aux politiques, j’ai un gros problème à les humaniser parce que même lorsqu’on les critique, comme dans La Conquête, cela attire la sympathie.

Comment avez-vous fait pour réaliser ce film ?

On a mis dix ans à faire ce film, dix ans de négociation avec les Kanaks. On a donc eu le temps de rencontrer beaucoup de gens pour recueillir beaucoup d’informations. Au départ je ne voulais pas de pathos, pensant que le personnage de Philippe Legorjus avait traversé un moment « dramatique ». Mais quand je l’ai rencontré, je me suis retrouvé face à quelqu’un de professionnel qui ne peut pas paniquer, ce qui m’a permis d’enlever directement le pathos. De plus je voulais me servir de ces yeux là pour faire découvrir aux spectateurs les Kanaks et ce qu’ils étaient.

On a l’impression dans le film que les Kanaks sont des martyrs. Qu’en pensez-vous ?

On dit que ce sont des preneurs d’otages mais il faut aussi accepter le fait que les gens se mettent dans des situations qu’ils n’ont pas voulu tout en décidant d’aller jusqu’au bout. Effectivement, peut être qu’Alphonse Dianou (chef des preneurs d’otages) n’était pas aussi sympathique qu’à l’écran. A l’origine, c’était quelqu’un qui voulait devenir prêtre. Ce n’était pas un terroriste. Le fait d’assumer ses erreurs lui a donné de la grandeur.

Qu’est ce que vous répondez à l’argument : « quand on utilise la violence, on s’expose à la violence » ?

C’est une réponse toute militaire. La question que je me pose, moi, est : « qui a tiré le premier » ? A Toulouse par exemple, en 1931, les Kanaks ont été exposés dans un zoo comme des cannibales. De là, on peut avoir des ressentiments. La prise de la gendarmerie est aussi motivée, au delà de la volonté d’indépendance des Kanaks, par une loi qui devait supprimer en douce l’existence de la coutume kanak. Il y a eu cent ans d’Histoire, on ne peut pas la résumer à l’attaque de la gendarmerie.

Y a t-il eu un ressenti en Nouvelle-Calédonie face à ces événements ?

J’ai vu le ressenti à la sortie du film. Mais j’ai tout fait pour qu’il soit le plus mesuré possible afin que les gens, à la sortie du cinéma, ne fassent que discuter. Pour les Kanaks, il faut désormais que tout se fasse avec intelligence. Ils veulent de la France avant tout du respect.

Quatorze ans après la sortie du film « Assassin » et son slogan, « Toute société a les crimes qu’elle mérite », êtes-vous toujours en phase avec cela ?

Maintenant, je dirais que « toute société a les terroristes qu’elle mérite » car je pense que toute société crée, d’une manière ou d’une autre, ses terroristes. Ça vient en partie d’un manque de respect et de compréhension de l’autre.