A l’heure où en France il ne fait pas toujours bon se revendiquer de l’Islam, le Louvre lève le voile sur une civilisation extrêmement fertile. C’est pour réhabiliter cette culture, qui depuis le VIIème siècle a influencé l’Orient comme l’Occident, que le fameux musée parisien a enrichi sa précédente collection. L’occasion d’un petit moment d’érudition pour en finir enfin avec certains clichés malheureusement tenaces.

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Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que le Louvre se dote d’une « section des arts musulmans ». Mais malgré ce retard, l’engouement pour la culture islamique est depuis longtemps fortement imprégné chez les élites. Notamment, les deux conservateurs, Gaston Migeon et Emile Molinier sont considérés comme les pères fondateurs de cette mode qui déferle alors sur la France. Au XXème siècle, la curiosité à l’égard de cette civilisation va donc croissant et après moult agrandissements et pléthore de déménagements, la « section islamique » du musée, comme on l’appelle en 1945, s’installe au sein du département des antiquités orientales. Elle y restera jusqu’à ce qu’en 2001, Henri Loyrette, nouvellement élu directeur du Louvre, décide de lui donner une envergure à la hauteur des découvertes accumulées depuis près d’un siècle. Jusqu’au 22 septembre dernier donc, seul un dixième de la collection était accessible au public.
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_ Quelques changements plus tard, près de 3000 oeuvres choisies parmi les 18000 pièces que possèdent le Louvre et le Musée des Arts Décoratifs, se sont substituées aux 1200 objets précédemment exposés. Cette métamorphose n’aurait d’ailleurs pu être envisagée sans la création d’un nouvel espace de 2800 m2, établi sur deux niveaux, et rebaptisé « le département des arts de l’Islam ». Une dénomination importante et vouée à durer quand le Louvre revendique ouvertement son voeu de ne pas représenter seulement l’art musulman, c’est-à-dire essentiellement les objets de culte, mais l’art de l’Islam dans son ensemble, comprenant donc l’art non-musulman et même d’ailleurs chrétien.

Un art influent
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De la naissance de l’Islam au VIIème siècle jusqu’à l’Islam moderne du XIXème siècle, les pièces exposées sont très diverses. Surtout les perpétuels va-et-vient entre les différentes régions du monde islamique présentés dans l’exposition permettent de mieux comprendre cette civilisation composite, mais aussi de mieux identifier les coutumes qui lui sont propres et de les confronter à la civilisation occidentale, pour réaliser que certaines pratiques sont communes. Si communes que de grands hommes de l’Histoire occidentale se sont intéressés avant l’heure à l’art islamique. Louis XIV, mis en avant dans l’exposition, fut ainsi l’heureux détenteur de coupes de jade ottomanes et surtout un des plus grands admirateurs de la finesse orientale.
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_ On réalise d’ailleurs que le Paris de la fin du XIXème siècle et du début du XXème fourmillait de collectionneurs. Charles Piet-Lataudrie, la famille Delort de Gléon, Georges Marteau, Mme Duffeuty, la famille Rothschild, M. et Mme Koechlin, le comte François Chandon de Briailles furent donc les généreux zélateurs de cet art encore peu connu. Résultat, un conglomérat de pièces réputées dans le monde entier comme le Lion de Monzon, le Baptistère de Saint-Louis, et surtout un magnifique mur de céramique ottomane entièrement reconstitué, de douze mètres de long, et composé de plus de 570 carreaux colorés.

Des pointures pour l’architecture
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Mais si les pièces rassemblées en ces lieux sont uniques, l’emplacement créé pour accueillir un département digne de ce nom fait lui aussi beaucoup parler de lui. Après la fameuse pyramide de verre qui a rendu le Louvre célèbre, l’aile conçue par les deux architectes, Mario Bellini et Rudy Ricciotti, est un nouveau chef-d’oeuvre architectural. Comme Leoh Ming Pei avant eux, les deux architectes ont réussi à apprivoiser ces lieux emplis d’histoire avec élégance. Remarquable par sa forme, « le tapis volant » comme on se plaît à l’appeler, composé d’une verrière sertie d’or et d’argent, dépasse les lois de l’apesanteur, car disposé sur huit piliers légers, il semble comme s’envoler au milieu de la cour Visconti.

Stop aux clichés
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Après la polémique suscitée par les caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo, la « culture islamique » a beaucoup fait parler d’elle. Un peu trop d’ailleurs. Certes pour l’islam, « Dieu n’est pas chair, mais verbe », mais de là à soutenir qu’elle interdit l’art figuratif, il y a tout un monde. Une ère même, qu’on retrouve exposée au Louvre et qui présente au détour de nombreuses oeuvres, un éventail impressionnant de visages humains mais aussi animaux, qui permettent justement d’illustrer des concepts comme le pouvoir, le culte ou le politique. Et du politique d’ailleurs, cette exposition en est imprégnée. Jacques Chirac, qui a rendu le projet possible, souhaitait un an après les attentats islamistes du 11 septembre que « les concitoyens puissent mieux mesurer combien la France a pu s’enrichir, tout au long de son histoire, des apports de ceux qui l’ont, siècle après siècle, et si nombreux, rejointe ».
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Au-delà donc de l’intérêt intellectuel, c’est bien à la construction d’une compréhension réciproque que travaille le Louvre.