La massification de l’enseignement supérieur dans les années 1990 a rendu nécessaire le recrutement de nouveaux professeurs. Confrontés à une pénurie d’enseignants-chercheurs, beaucoup d’établissements font appel à des enseignants formés pour le secondaire. En mal de reconnaissance, ceux-ci sont parfois désignés comme symptômes de la « secondarisation » du supérieur.
Ils sont plus de 13 000 en France, soit 14% des effectifs de l’enseignement supérieur. En IUT, leur proportion dépasse 41%. Pourtant, les Professeurs Certifiés (PRCE) et Agrégés (PRAG), respectivement habilités à enseigner en collège et lycée, sont souvent confrontés à l’incompréhension, voire l’hostilité de leurs collègues. « Ils doivent se battre continuellement pour être considérés comme de la maison », raconte Jean-Michel Minovez, directeur de l’UFR d’Histoire à l’Université Toulouse-Le Mirail (UTM).
Lui-même professeur des collèges et des lycées pendant douze ans, notamment à Pierre-de-Fermat à Toulouse, il a débuté sa carrière universitaire en tant que chargé de cours, puis PRAG, avant de devenir maître de conférences en 2006. Il explique : « Pour certains enseignants-chercheurs (E-C), engager ces professeurs revient à nier le lien entre enseignement et recherche qui existe dans le supérieur ». Ceux-là dénoncent une volonté de faire des facs des succursales du secondaire avec des formations généralistes.
« Le cheval de Troie dans l’université »
« Ces professeurs du secondaire pétris de vertus pédagogiques, c’est le cheval de Troie dans l’université. On nous demande de faire des cours de prise de notes, en licence ! Je ne suis pas chercheur pour cela », s’indigne un maître de conférences à l’UTM qui préfère garder l’anonymat. Jean-Michel Minovez relie ce phénomène au système des IDEX : « Le risque est une université non pas à deux, mais à plusieurs vitesses. Il y aurait quelques grands pôles avec des disciplines sur-valorisées et des chercheurs prétendus excellents, des universités de seconde zone et enfin des collèges universitaires qui n’iraient pas au-delà de la licence, où l’enseignement serait assuré par des PRAG ». Il cite l’exemple du Centre universitaire de formation et de recherche Champollion, basé à Albi et rattaché aux universités toulousaines, qui ne délivre pas de doctorats et peu de masters.
L’arrêté licence de l’été 2011 a conforté cette lecture : « Le gouvernement veut créer un continuum du lycée à la licence, développer l’ « employabilité » par un enseignement polyvalent. Or je pense qu’un socle disciplinaire fort est indispensable à l’adaptation professionnelle », affirme Jean-Michel Minovez.
Une « main d’œuvre » disponible et pédagogue
La hausse des effectifs étudiants dans les années 1990 est à l’origine de cette évolution dans le recrutement. Les universités, sous la double contrainte du manque d’enseignants et de crédits, font alors appel à ces professeurs du secondaire. Les avantages: une plus grande disponibilité pour l’enseignement, et des rémunérations plus faibles. Les salaires et leur évolution suivent l’échelle du secondaire, sans les primes, soit 1 500 euros nets en début de carrière pour un PRAG (1 340€ pour un PRCE).*
En théorie, ils n’effectuent pas de travaux de recherche, et doivent à ce titre faire le double d’heures d’enseignement (384 heures annuelles, contre 192 pour les E-C) Dans la pratique, c’est souvent la seule voie d’entrée à l’université pour préparer une thèse de doctorat, étant donné la restriction de postes d’E-C. Ces professeurs doivent ainsi assurer 384 heures de cours en parallèle de la préparation de leur thèse, même si des décharges sont éventuellement accordées. Devant l’ampleur de la tâche, plus d’un abandonne ou retourne dans le secondaire.
Surreprésentés dans l’art et les langues et en IUT
Certains domaines sont plus ouverts aux PRAG et PRCE que d’autres. Rares en droit ou en médecine, disciplines « purement universitaires », leur présence explose dans les matières où l’ouverture vers la recherche est faible : langues vivantes, arts plastiques et appliqués, et dans beaucoup d’IUT, notamment d’économie, de gestion et d’informatique. Les Instituts Universitaires de Formations de Maîtres (IUFM) ont également sollicité les PRAG et PRCE « en partie car il n’y pas assez d’argent pour recruter les maîtres de conférences », estime Jean-Michel Minovez.
Quel que soit le regard que leur portent leurs collègues, ces professeurs du secondaire font désormais partie du paysage universitaire.
*Chiffres de 2010 cités par l’Observatoire Boivigny