Multiplication des perquisitions au sein des rédactions, interrogatoires policiers , reporters agressés ou menacés lors de conflits sociaux (SNCM en Corse, émeutes des banlieues en novembre 2005)…Le rapport annuel de Reporters sans frontières (RSF) dresse l’image d’une dégradation alarmante de la liberté d’expression en France. L’hexagone se retrouve en 35e position du classement mondial, loin derrière la Bolivie (16e), premier Etat de l’hémisphère Sud à faire son apparition dans le top vingt des pays les plus libres en matière d’expression. Les journalistes boliviens ont profité, au cours de l’année écoulée, d’une liberté comparable à celle de leurs confrères autrichiens ou canadiens, déclare RSF. La France, quant à elle, se place au même niveau, par exemple que le Mali et la Bulgarie.

Ce classement traduit-il la réalité complexe à laquelle sont confrontés les journalistes de ces différents pays ? Eric Cabanis, reporter-photographe de l’AFP Toulouse SNJ-CGT y voit des limites et s’interroge: « On peut toujours dénoncer la propagande relativement visible exercée par ces pays que RSF qualifie de « trio infernal de la liberté d’expression »: Corée du Nord (168e et dernière position), Turkménistan (167e), Erythrée (166e); pays où les journalistes opposés au régime en place sont torturés et emprisonnés. Mais la presse française échappe-t-elle totalement à la censure? Pour Eric Cabanis si le contrôle des médias par l’Etat est traditionnellement dénoncé, le rôle des grands groupes financiers s’avère indéniable. « La presse n’est peut-être qu’un relais de ces groupes».

Une masse de journaux et magazines qui ne donnent qu’un seul point de vue

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« Donner des éléments d’analyses aux gens pour se former leur propre opinion »: pour Eric Cabanis c’est la mission essentielle du journaliste. « Dès lors que penser d’une presse qui ne présente qu’un seul point de vue avant le scrutin sur la Constitution Européenne. Est-ce qu’elle fait son travail ? Si les médias avaient promu un discours plus réflexif et critique le résultat aurait peut-être été différent » , donne à réfléchir Eric Cabanis. Autre exemple plus actuel : « Un journal comme Libération, fondée par Jean-Paul Sartre, ne s’interroge que sur la couleur des cravates de Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius et du vestiaire de Ségolène Royal au lendemain d’un débat entre les trois candidats à la candidature du PS. Ne passe-t-on pas à côté du sujet ? » se demande Eric Cabanis. « Dans quel pays est-on ? Dans une république bananière ? » Trop souvent la presse française met en avant le fait divers, critique le journaliste. D’ailleurs, le monopole de trois groupes privés occasionnerait des atteintes graves à la liberté de la presse. « Il faudrait que la profession crée un débat sur l’éthique et la déontologie du journalisme pour changer la situation », propose-t-il.

Dégringolade des Etats-Unis

La baisse des Etats-Unis (53e) dans le classement mondial de la liberté de la presse est remarquable : neuf places par rapport à l’an dernier. « L’atmosphère s’est nettement détériorée entre la presse et l’administration du président George W. Bush », juge RSF. Un constat qui arrive trop tard, selon Eric Cabanis. Longtemps le pays était classé « blanc » dans la carte de RSF bien que les mesures de la justice fédérale contre des journalistes remettant en cause la « guerre contre le terrorisme » aient été connus. Dans son rapport 2006 RSF évoque le cas de Josh Wolf. Pour avoir refusé de livrer ses archives vidéo, le journaliste indépendant et blogueur a été envoyé en prison. Au moins 17 Etats de l’Union ne reconnaissent pas à la presse le privilège du secret des sources, constate RSF. Par ailleurs, l’organisation critique la détention sans charge, depuis le 13 juin 2002, du cameraman soudanais d’Al-Jazira, Sami Al-Haj, sur la base militaire de Guantanamo, et celle du photographe d’Associated Press, Bilal Hussein, en Irak, depuis le 12 avril 2006. Concernant la liberté de la presse les Etats-Unis se trouvent désormais au même niveau avec le Botswana, la Croatie et les îles Tonga dans le classement. En 2002, lorsque RSF a établi son premier classement, les Etats-Unis se situaient en 17e position.

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Annexe: Comment le classement de RSF est-il établi ?

RSF a évalué la situation de la liberté de la presse dans 168 pays à partir de 50 critères. Un questionnaire recense l’ensemble des atteintes directes contre les journalistes (assassinats, emprisonnements, agressions, menaces, etc) ou contre des médias (censures, saisies, perquisitions, pressions, etc). Il note également le degré d’impunité dont bénéficient les auteurs de ces violations de la liberté de la presse. Ce questionnaire prend enfin en compte le cadre juridique régissant le secteur des médias (sanction des délits de presse, monopole de l’Etat dans certains domaines, présence d’un organe de régulation, etc) et le comportement de l’Etat face aux médias publics et à la presse internationale. Il relève aussi les principales atteintes à la liberté de circulation de l’information sur Internet.

www.rsf.fr