Crédit photo : Laurent Sabater.

Le 11 février 2025 marque la 10e Journée internationale des femmes et des filles de science, créée par l’Organisation des Nations Unies. Pour l’occasion, Christelle Hureau revient sur le sujet, en tant que directrice de recherches au laboratoire de chimie de coordination du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de Toulouse, et directrice adjointe en charge des égalités. Interview.

Le but de la journée internationale des femmes et des filles de science est de discuter de la place des chercheures en science. Est-ce que cette question est abordée dans votre milieu professionnel ?
Alors c’est une question qui est présente, mais pas toujours mentionnée au quotidien. Dans mon équipe, on est quasiment 70% de femmes donc c’est une question qui se pose et on est d’accord. En chimie c’est quand même plus équilibré que dans d’autres sciences dures qui sont encore relativement masculinisées comme les mathématiques ou l’informatique. Au niveau du CNRS, il y a des missions d’égalités et des correspondants égalité : ce sont les principaux outils et informations mis en place. Mais je pense qu’on peut quand même aller beaucoup plus loin, et qu’il reste des choses à faire.

Justement, selon un rapport du CNRS publié en 2022, les femmes représentent 34,4% des chercheurs permanents et 30,6% des directeurs de recherche. Est-ce que cette répartition vous semble notable au quotidien ?
Oui, ça m’a l’air plutôt représentatif. Il y a encore des biais, par exemple au niveau des promotions qui mettent plus de temps pour les femmes. Après, au niveau du concours je ne sais pas exactement, mais je suppose qu’il y a aussi des biais.

Plus concrètement, quels sont les biais et stéréotypes qui persistent aujourd’hui et dont vous faites encore l’expérience ?
Des anecdotes sur les stéréotypes, j’en ai plein… Par exemple, alors que l’on vient de fêter les cinquante ans du labo [ndlr : laboratoire de chimie de coordination], c’est la première fois qu’une femme a été nommée à sa tête. Depuis 2025, il y a donc une directrice. On voit un autre exemple au moment des conférences, il y a des vrais biais de sélection. Quand elles sont invitées, les conférencières le sont à des statuts moins prestigieux que les conférenciers. Elles sont plutôt contactées pour des rôles de keynotes alors que les hommes sont des pléniers, ce qui est beaucoup plus prestigieux. [Ndlr : une session plénière est plus institutionnelle et considérée comme plus prestigieuse, une keynote est une intervention d’un.e expert.e sur un sujet précis mais ne définit pas nécessairement le cadre général de la conférence].

Avant de devenir chercheure, quelle image aviez-vous des femmes dans la science ?
J’étais assez naïve au début mais je pensais que les garçons et les filles pouvaient faire la même chose. Du coup, je n’ai pas eu le sentiment de m’auto-censurer. Mais finalement, j’ai dû me confronter à ce questionnement de la place des femmes puisque je l’ai vécu. On m’a notamment fait des remarques sur l’obtention d’une bourse européenne, en disant que c’est parce que j’ai eu quatre enfants que j’ai réussi. En cas de grossesse, les dates limites pour soumettre des projets peuvent être décalées. On me l’a aussi dit au moment de passer les concours pour être directrice de recherche. A ces gens-là je leur réponds : « Vas-y, fais ce que j’ai fait avec quatre enfants ».

Justement, beaucoup d’articles et communiqués vous concernant mettent en avant votre articulation vie professionnelle – vie personnelle. C’est un sujet évoqué dans plusieurs milieux, mais est-ce que c’est encore présent dans les représentations des femmes en science ?
Quasiment tout le temps. Et je trouve ça dérangeant parce que ce sont des choix, ce n’est pas ce qui me définit au niveau du travail. Par exemple, j’ai des amis qui font beaucoup de musique à côté de leur métier, et pour autant on ne leur pose pas de questions dessus : moi j’ai choisi d’avoir une vie de famille, et ça m’embête que ce soit toujours la remarque principale quand les journalistes me parlent.

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Un autre objectif majeur de cette journée internationale des femmes et des filles de science est de lutter contre l’autocensure des jeunes. Avez-vous déjà constaté ce phénomène, et qu’est-ce qui est envisageable pour y faire face ?
J’ai l’impression qu’il y a quand même de moins en moins d’autocensure, ça évolue. A l’échelle personnelle, quand j’avais le temps pour le faire, j’allais dans les établissements pour parler du métier de chercheure. C’est important de communiquer, et peut-être de susciter des vocations. Et au niveau du collectif, je pense qu’il faut vraiment renforcer la présence des chercheures en milieu scolaire : j’ai toujours l’impression qu’on est presque mystiques. Il y a vraiment des biais dans l’enseignement, donc c’est là qu’il faut commencer.

Quels progrès espérez-vous voir dans les prochaines années, qu’est-ce qui vous semble primordial et urgent en tant que chercheure ?
Je pense qu’on arrive un peu trop tard déjà, c’est dès l’école qu’il faut enseigner sans biais et renforcer les représentations de chercheures. Après, au niveau collectif il faut travailler davantage sur les conférences dont je parlais. Je trouve que ça pose un vrai problème parce que les invités sont aussi une vitrine. L’image que ça donne des labos et de leurs choix d’invitation pourrait aussi bloquer des futures collaborations. C’est dommage.