Pressenti pour présider le Cojop 2030, le biathlète Martin Fourcade y renonce ce lundi, estimant « les désaccords trop nombreux ». Un choix « difficile », face à un projet que Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness France, qualifie « d’aberration économique, sociale et environnementale ». Entretien.
Peut-on encore rêver de ski et de snowboard sur une planète en surchauffe ? Peut-être pas pour Martin Fourcade, pour qui le choix de se retirer du Comité d’organisation vient une nouvelle fois cristalliser les tensions autour des JO d’hiver en 2030 dans les Alpes françaises. « Le mode de gouvernance, la vision, l’ancrage territorial : nous n’avons pas réussi à nous retrouver sur ces sujets fondateurs », avance le sextuple champion olympique de biathlon dans une lettre envoyée aux institutions organisatrices.
Une sage décision de la part de l’athlète, à en croire Fiona Mille. Dans son ouvrage Réinventons la montagne, elle esquisse de nouvelles façons de penser nos sommets, en soulignant l’inéquation totale que représentent ces Jeux d’hiver avec les réalités climatiques des montagnes françaises et les préoccupations de ses habitants.

TOU’News : Martin Fourcade annonce ce lundi renoncer à la présidence du Comité d’organisation des Jeux d’hiver 2030. Parmi les raisons, il évoque un désaccord sur les questions d’environnement et d’ancrage territorial. Qu’est-ce que cela veut dire du projet ?
Fiona Mille : Cette annonce, c’est une décision courageuse, mais aussi un signal très fort. Cela montre à quel point cette candidature est un non-sens complet au regard de toutes les réflexions qui se tiennent dans nos montagnes, en inéquation avec la volonté des habitants. Il n’y a eu ni référendum ni débat !
Martin Fourcade a dû se rendre compte qu’il pas n’avait pas mot à dire dans l’élaboration de Jeux qui rendraient davantage service à la montagne et ses habitants. Malheureusement, je pense que les deux présidents de régions ont déjà un nom de remplaçant en tête et ne prévoient pas de freiner la candidature de sitôt. Mais le départ d’un sportif populaire comme lui, ça va forcément heurter l’image publique de l’événement.
La semaine dernière, le skieur William Bon Mardion a boycotté une course en refusant de franchir la ligne de départ. Il explique vouloir protester le « toujours plus » du modèle alpin, qui fait fi de la réalité climatique et du manque croissant d’enneigement. Assiste-t-on à une prise de conscience des athlètes ?
La prise de conscience n’est pas nouvelle, mais elle est difficile pour un athlète qui dédie toute sa vie au sport de montagne. Ce qu’a fait William est très courageux, car en mettant en avant ses convictions personnelles, il met à mal sa place dans le circuit professionnel, qui est son métier. Ce courage n’est pas toujours facile à trouver pour un athlète, il sait qu’une prise de parole peut mettre fin immédiatement à sa carrière.
C’est très intéressant de voir des sportifs en activité commencer à dire que ce n’est plus possible ! Ça souligne encore une fois la logique jusqu’au-boutiste de l’industrie du ski qui voudra toujours plus de neige artificielle quand le climat ne leur accorde plus de la vraie. Même les athlètes ne s’y retrouvent plus, parce qu’ils savent qu’ils ne pourront pratiquer leur sport s’ils ne respectent pas la montagne.
Vous expliquez dans votre ouvrage que ces Jeux, et les sports d’hiver plus généralement, nous empêchent de penser un autre imaginaire de la montagne.
Ça veut dire quoi, de faire des jeux « durables » en montagne dans un monde qui fond, en continuant à faire rêver de neige ? Nous sommes dans une période de bascule. Nos territoires font face à d’énormes défis que ce soit la fonte des glaciers, les enjeux de biodiversité, l’accélération des risques naturels en hautes montagnes…
Avec ces Jeux d’hiver, on continue à faire rêver de la montagne des stations de ski, à une période où il faut penser à une transition de nos territoires. Il faut dépasser la question « Pourra-t-on skier durant les vacances » et se demander plutôt « Comment va-t-on vivre demain en montagne ? ».
Peut-on espérer que la réaction de certains de ces athlètes puisse faire bouger les choses, et permette d’envisager autrement les montagnes françaises ?
Les athlètes peuvent porter la parole de la montagne. Je pense par exemple que la plupart des Français ne savent pas qu’aux JO, on a l’obligation de skier sur de la fausse neige. Une absurdité ! Je ne pense non plus qu’ils savent qu’une très grosse partie des stations de ski utilisent aujourd’hui de l’enneigement artificiel et créent des retenues collinaires pour produire cette neige.
Ils peuvent aussi incarner un autre rapport à la montagne. Peut-être que l’exploit sportif peut rester très beau, en étant très différent ! Peut-être que William [Bon Mardion] montrera que l’on peut continuer à rêver de montagne sans skier sur des pistes artificielles. Car les athlètes sont porteurs d’un imaginaire : on peut dire qu’ils ont ce double rôle, à la fois lanceurs d’alerte et source d’inspiration afin d’inventer une montagne plus responsable.
Crédit photo : olympics.com