Après le premier tour de l’élection présidentielle, l’heure est au bilan pour les deux candidats encore en lice. L’objectif avant le second tour : attirer les électeurs des partis satellites. Avec près d’un jeune sur deux ayant voté pour un candidat non qualifié, inutile de dire que la Génération Y sera l’une des clés du scrutin à venir. Mais avant cette séquence débauchage qui s’annonce, parole aux premiers concernés, dont beaucoup glissaient pour la première fois un bulletin dans l’urne.

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« Pour qui ont voté les jeunes ? » se questionne le site d’information Slate.fr quelques heures après le premier tour de l’élection présidentielle. Et le pure player de répondre : Le trio de tête. François Hollande (29%), Nicolas Sarkozy (26%) et Marine Le Pen (19%) ont eu les faveurs de ces nouveaux entrants dans l’arène politique. Un résultat en parfaite harmonie avec les scores nationaux, battant ainsi en brèche l’idée reçue que le vote des 18-24 ans serait uniquement contestataire.

La sociologue Anne Muxel ne dit pas autre chose, elle qui montre que l’ancienne spécificité de cet électorat tend à disparaître au profit d’un vote de plus en plus en résonance avec leurs aînés. Pourtant, tous n’étaient pas convaincus par les théories de la chercheuse, et la publication du sondage CSA du 9 avril mettant Marine Le Pen en tête des intentions de vote chez cette catégorie d’âge avait semé un peu plus le trouble. Le scrutin du dimanche 22 avril a sifflé la fin de la récré et mis un terme aux spéculations.

Politiques et jeunes: l’incompréhension

Au-delà des jeux de pouvoirs, des chicanes politiques, et de la foire d’empoigne partisane, l’élection représente un temps politique particulier. Un des rares moments où l’électeur prend le flambeau de la vie démocratique pour se mettre au diapason avec la nation. Plus qu’un bulletin, c’est presque un chèque en blanc qu’il introduit dans l’urne à destination de l’un des candidats. Pas le droit à l’erreur donc, une responsabilité que peu goûtent. « Ils font tout un pataquès avec cette élection, mais la politique me laisse indifférente. Pour moi, c’est blanc bonnet et bonnet blanc entre les différents candidats. Je suis quand même allée voter car, il y a cinq ans, je n’y étais pas allée et mes parents m’avaient alors sermonnée  » soupire Stéphanie, 23 ans. Et des jeunes comme elle, il y en a « à la pelle ».

Démunis face aux codes politiques, étrangers au jeu démocratique, bien souvent les jeunes adultes doivent se débrouiller seuls dans cette jungle qu’est la vie de la cité et se faire leur propre grille de lecture. Autodidacte hésitante du champ politique, cette génération non biberonnée aux luttes sociales et aux mouvements sociaux d’envergure peine à s’intéresser à la « grande » politique trop souvent à leur goût mitée par la « petite », comme s’en émeut Gabrielle : « Depuis quelques jours, j’ai essayé de m’y intéresser un tantinet, mais honnêtement, je n’y comprends pas grand-chose. Ils tiennent des discours de technocrates avec chiffres et grandes théories économiques à l’appui. Moi, ça ne me parle pas. À tel point d’ailleurs que je ne me suis décidée qu’une fois dans l’isoloir. »

Conscience politique

D’autres, plus enthousiastes à l’approche du scrutin suprême, ne cachent pas que pour eux, l’élection de 2012 a une saveur particulière. À l’occasion de leur premier appel au bureau de vote, ils ne veulent pas se tromper. Résultat, des heures à regarder les débats de la campagne, à éplucher les programmes des candidats, à surfer sur les réseaux sociaux à la recherche de la moindre information, à lire tout ce que compte la presse de revues politiques, pour arrêter leur choix sur l’un des dix prétendants. « Je n’étais pas en âge de voter en 2007, et cela m’a extrêmement frustré. Aussi, cette année, j’ai décidé de me faire une cure politique où j’ai bien pris le temps d’analyser les différentes propositions des candidats histoire de ne pas regretter mon vote. Mais si au premier tour, j’ai fait un vote de conviction et d’adhésion, au second tour, je vais faire un vote de raison », s’exprime Fabien avec le sentiment du devoir accompli.

Même son de cloche pour Émilien qui, s’il n’en est pas à sa première présidentielle, n’en garde pas moins l’excitation des nouveaux venus : « Tous les experts et les médias disaient que la campagne n’allait pas intéresser les Français et a fortiori les jeunes, que l’abstention allait atteindre des records, que la mobilisation allait être faible, or qu’est-ce qu’on a vu ? Des électeurs tout aussi concernés qu’en 2007 alors même que la crise aurait pu en décourager certains sur le pouvoir du politique.  » La dépolitisation de la Génération Y tant déplorée n’a donc pas eu lieu. Au contraire, l’élection de dimanche a montré s’il le fallait que le scrutin reste la principale forme de participation politique.

Qu’il soit le résultat de pressions familiales, d’impératif moral – d’où la fameuse justification : « J’ai fait mon devoir citoyen » –, de sentiment d’appartenance, ou de volonté d’identification comme l’explique l’ouvrage The Myth of Rational Voter, le vote est pour le moment l’horizon indépassable du jeu démocratique. Et les jeunes n’y manquent pas, à l’image de Samuel visiblement effondré de n’avoir pu apporter lui aussi sa pierre à l’édifice électoral : « En général, je me déplace rarement pour voter, or cette fois-ci je voulais à tout prix glisser mon bulletin dans l’urne. Mais, je me suis pris trop tard pour faire ma procuration et résultat, je me retrouve coincé et dans l’incapacité de faire entendre ma voix. Vraiment, je suis énervé contre moi. » Par chance, notre auto-indigné a réussi à envoyer in extremis son sésame pour le deuxième tour de l’élection présidentielle. Le 6 mai, il faudra donc compter sur la voix de Samuel et celle de plus de quatre millions de 18-24 ans qui vont se déplacer, bulletin à la main.

The Myth of Rational Voter, Bryan Caplan, Princeton University Press, 280 p.