Ce sont les nouveaux stakhanovistes volontaires des bancs de la fac. Par crainte d’une insertion périlleuse sur le marché du travail, par envie d’élargir leurs compétences, voire tout simplement par goût pour les études, de plus en plus d’étudiants n’hésitent pas à cumuler les formations universitaires en menant de front plusieurs scolarités. « Travailler plus pour gagner plus », cela commence dès l’enseignement supérieur chez certains.

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Anita a 22 ans, mais déjà un emploi du temps de cadre du secteur privé. Entre ses cours à la fac de droit et son master en sciences politiques, l’étudiante mène une vie à 100 à l’heure. Car avec plus d’une quarantaine d’heures d’enseignement hebdomadaire, sans compter l’investissement horaire les soirs et week-ends, difficile pour la jeune femme de trouver du temps pour elle. Loisirs, sorties, moments de détente… cela fait belle lurette qu’elle y a renoncé afin de se consacrer corps et âme à ses études, quitte aussi à brader souvent sa vie affective et familiale sur l’autel de ses ambitions professionnelles. Et Anita est loin d’être une exception.

Objectif emploi

Au sein des amphithéâtres de l’Hexagone, le double cursus est le nouveau sport à la mode. Raison invoquée : la crise. Dans un contexte de contraction forte du marché du travail, avec un taux de chômage culminant à près de 10 %, chacun essaye de tirer son épingle du jeu pour éviter de finir dans la case « armée de réserve », à la manière de Cédric, étudiant en commerce et en sciences politiques : « Depuis 2007 et la crise économique, la conjoncture s’est inversée. Désormais, ce sont les employeurs qui occupent les positions dominantes. J’essaye donc de mettre toutes les chances de mon côté.  » D’autres à l’inverse voient le double cursus comme une seconde chance après une orientation finalement remise en cause : « Au fur et à mesure de ma première année de master en administration publique, je me suis aperçu que devenir fonctionnaire n’était plus vraiment une priorité pour moi. Plus attiré par le secteur privé, j’ai donc décidé de suivre en parallèle un master de droit international » s’étend Jules.

Les universités et grandes écoles ont d’ailleurs compris le filon que représentait le double cursus. À l’exception de quelques structures encore réticentes quant à la mise en place de régimes horaires exceptionnels pour ces étudiants, beaucoup tentent tant bien que mal de s’adapter à ces derniers. « De façon générale, les professeurs sont plutôt compréhensifs et me permettent de ne pas assister à leur cours lorsque j’ai un doublon dans mon agenda » continue notre étudiant mi-juriste mi-administrateur public.

Mieux, de plus en plus, les établissements de l’enseignement supérieur proposent eux-mêmes des cursus intégrés. Traduction, ils passent des conventions avec d’autres écoles françaises ou étrangères afin qu’un certain nombre de leurs étudiants soient diplômés des deux structures, en contrepartie d’un enseignement suivi au sein de chacune d’elle. Un choix fait par Younes : « Ancien de l’école Polytechnique, j’ai eu l’occasion de poursuivre ma scolarité à Columbia un semestre durant. Je n’ai pas hésité une seconde. Aujourd’hui, je suis diplômé de ces deux universités.  »

Double cursus, double peine ?

Au-delà des avantages indéniables présentés par le double cursus, cette voie n’est guère sans embûches. Et n’est pas cumulard qui veut ! « Depuis que je suis deux formations en parallèle, j’ai l’impression de ne pas arrêter une seconde. Les études, les études, et encore les études, je ne fais que cela au détriment d’activités extra-scolaires. J’ai parfois l’impression de passer à côté de ma vie d’étudiante » regrette Celia. Quant à ceux qui ne bénéficient pas du soutien financier du cercle familial, inutile d’espérer ajouter une nouvelle corde à leur arc tant il leur est déjà difficile d’allier emploi du temps universitaire et petits boulots.

Tous les étudiants rencontrés ont pointé du doigt le caractère chronophage de ce type de formation. Soit. Reste que parfois cette dépense horaire peut s’avérer être un formidable investissement. Quelques heures passées en plus par-ci par-là pour gagner plusieurs années. En jeu : une meilleure et plus rapide insertion dans la vie professionnelle, la confection d’un profil polyvalent, voire plus froidement l’obtention d’un diplôme pour une poignée d’heures sacrifiées : « Je ne voulais pas spécialement faire un double cursus, mais quand j’ai appris qu’un système d’équivalence me permettait d’entrer directement en quatrième année de droit, sans avoir obtenu la licence spécifique au préalable, j’ai tout de suite accepté. En passant seulement une année sur les bancs de la fac côté juriste, je validerai un master 1 » explique Marie. Qui perd gagne en somme…