Lamah Anas Moustafa Kaml et Moustafa Akram sont deux étudiants égyptiens inscrits à l’Université Toulouse 1-Capitole. Installés à Toulouse depuis le mois de septembre, ils ont suivi les événements à distance. Ils ont accepté de partager leur point de vue sur la révolution et donnent leur avis sur l’avenir de Égypte.

Univers-Cités : Cela fait quelques mois maintenant que tu vis en France, loin de l’Egypte. Comment vis-tu le conflit à distance ?

Lamah Anas Moustafa Kaml : C’est très difficile pour moi de partager ce que je vis car je connais très peu d’étudiants égyptiens ici. Heureusement, il y a Twitter, qui a eu un grand rôle dans la Révolution. Facebook aussi, avec le groupe Egyptians Abroad, créé pour les Egyptiens expatriés. C’est quand le gouvernement a déconnecté les lignes Internet et les téléphones portables que c’est devenu vraiment très compliqué. Il ne restait plus que les lignes fixes pour avoir des nouvelles. J’ai donc passé mon temps sur le groupe Facebook et sur la chaîne BBC Arabic, retransmise en ligne. Mon frère est resté la-bas mais j’ai pu avoir de ses nouvelles, je sais qu’il va bien.

Moustafa Akram : Pour ma part, toute ma famille est en Egypte et c’est très dur pour moi d’être en France et pas là-bas. Mes amis participent au mouvement et je me sens mal de n’être que spectateur. J’arrive à avoir de leurs nouvelles, je regarde Facebook et Newschannel tout le temps. On a aussi accès aux journaux égyptiens en ligne.

Que penses-tu du mouvement ? Crois-tu que la Révolution du Jasmin en Tunisie a influencé la montée des contestations égyptiennes ?

LAMK : La Révolution en Égypte arrive trop tard. Cela fait trente ans maintenant que Moubarak est au pouvoir et c’est inacceptable. Après les premiers jours de manifestation, il a nommé un vice-président pour la première fois depuis 1981 alors que celui-ci est prévu par la Constitution. Quant au nouveau gouvernement, il a multiplié les arrestations arbitraires. Le manager de Google Middle East a été détenu, par exemple.
Pour moi, le lien avec la Tunisie est évident, Moubarak est au pouvoir depuis plus longtemps encore que Ben Ali. La Révolution en Egypte était latente et c’est grâce à l’exemple tunisien que les égyptiens se sont dit : pourquoi pas nous ?

MA : Ce mouvement est une bonne initiative. Il y a longtemps que la révolte gronde chez les jeunes égyptiens mais cette opposition n’était incarnée par aucune force politique. Cette fois, on a vu le peuple descendre dans la rue et c’est pour ça, je pense, que le gouvernement a fini par plier. Avec le temps et grâce aux vidéos sur Internet qui donnent à voir la violence de la police, la contestation a progressivement gagné tous les pans de la société et le gouvernement a été obligé de se rendre.

Si le mouvement a pu éclore en Egypte, c’est parce que la pression ne venait pas seulement du peuple mais aussi des instances internationales. La Révolution en Tunisie a eu un effet principalement sur les jeunes, elle leur a donné la force de dire non.

Selon toi, pourquoi Moubarak devait-il partir ?

LAMK : Le pays baigne dans la corruption. L’économie égyptienne va mal et la répartition des richesses est inégale car le progrès économique est uniquement entre les mains du gouvernement. De plus, il n’y a pas de séparation des pouvoirs. Tu as des hommes qui sont au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif par exemple. Comment veux tu que cela fonctionne réellement ? Donc je pense qu’on va pouvoir se débarrasser de tous ces maux qui accablent l’Égypte avec le départ du Rice.

Depuis 1981, Moubarak a mis en place la loi d’urgence. Cette loi enlève tous tes droits civils quand l’Etat d’urgence est déclaré. Ainsi, les autorités peuvent t’arrêter dans la rue sans explication, sans jugement si on suspecte que tu as fait quelque chose. Ils te mettent en prison et tu ne peux strictement rien faire. Beaucoup de personnes en ont fait les frais, notamment les leaders de l’opposition et cela doit s’arrêter.

MA : Nous n’avons pas de liberté d’expression là-bas. Tous les média sont manipulés par le gouvernement et ne retranscrivent pas la réalité. Par exemple, il y a un journal très connu, le Al Ahram, qui véhicule de fausses informations. Au moment des contestations sur la place Tahrir, le quotidien avait titré sa une en disant que des milliers de personnes soutenaient Moubarak. Ce qui était complètement faux puisque les milliers de personnes en question étaient opposées au gouvernement et seule une centaine de manifestants défendaient le président. Heureusement, les Egyptiens savent pour la plupart que les journaux et chaînes du pays sont influencés!

Moubarak a démissionné le 11 février. Comment vois-tu l’après-Moubarak ? As-tu peur de l’avenir en Égypte ?

LAMK : Je pense que l’Égypte doit devenir une démocratie. Avec le départ de Moubarak, je pense que cela sera possible. Quand on vit en démocratie, on a la chance de pouvoir élire un nouveau président à la fin d’un mandat. Même si on élit un mauvais président, juste de savoir que tu peux le remplacer, c’est très important je pense.
En ce qui concerne l’avenir de l’Égypte, je ne suis pas inquiète. Grâce à cette révolution, la culture égyptienne va changer. Jusqu’ici, le pays n’était pas organisé. Aujourd’hui, le peuple égyptien a réellement envie de changement et va peut être enfin pouvoir connaître plus de stabilité.

MA : Je suis content que nous ayons pris cette initiative de nous soulever contre Moubarak. La corruption va partir avec le gouvernement et une démocratie va pouvoir s’installer. Il faudra du temps mais je suis certain qu’on pourra y arriver. Jusqu’ici, les Égyptiens n’étaient pas libres. Or, quand on n’a pas de liberté, on ne peut pas comprendre la démocratie. Mais si on est libre, on peut réussir à la comprendre et à la vivre.


Malgré un français impeccable et une intégration étudiante réussie, l’Égypte leur manque, à lui peut-être plus qu’à elle. Mi-avril, ils seront de retour. Recherche de stages ou d’emplois : ce qui les attend ressemble fortement à ce que doit vivre tout étudiant. A ceci près que Lamah et Moustafa s’apprêtent à retrouver un pays bouleversé, tant dans sa culture que dans son organisation. Elle fait du droit, lui souhaite rester dans le milieu des relations internationales. Mais tous les deux vont dans la même direction : créer, œuvrer et tous ensemble travailler à la reconstruction démocratique de leur pays.