Au cours de la conférence intitulée « Le journalisme face à la barbarie », plusieurs journalistes ont témoigné sur les dangers qu’ils peuvent rencontrer ainsi que sur la limite de l’information, faisant référence au prix du public Bayeux-Calvados 2014 du reporter de guerre avec des photos choquantes de scènes de décapitation.

De gauche à droite: Edith Bouvier, Pierre Haski, Alain Le Gouguec, Philippe Rochot et Albéric de Gouville Philippe Rochot, ancien otage au Liban en 1986, et Alain Le Gouguec, de Reporters Sans Frontières, ont appelé à ne pas diffuser d’images violentes au nom de l’information afin de respecter la dignité de la victime. Les intervenants ont aussi rappelé que les premières victimes de la barbarie sont les journalistes locaux et les citoyens soucieux de l’information. Cette situation n’est pas seulement subie au Moyen-Orient et en Afrique mais aussi en Amérique Latine qui compte 200 morts sur un an au nom de l’information.
A noter que même en France les médias sont mis à mal. L’exemple de Pierre Haski, Rue89, est parlant, victime des attaques d’un hacker franco-israélien qui n’a pas apprécié un article du web-journal. Il harcèle l’auteur de l’article, sa famille et la rédaction du site depuis lors.

Face à ces nouvelles attaques contre les médias,il ne faut pas oublier ceux qui ont déjà perdu la vie comme James Foley, Camille Lepage et Steven Sotloff. C’est pourquoi Edith Bouvier, journaliste indépendante, blessée en Syrie en 2012, leur rend hommage ainsi qu’à tous les grands reporters qui sont morts ces dernières années. Elle a également lancé une action de soutien envers Valentine Bourrat et Thomas Dandois, sous forme de selfies avec le hashtag #FreeThomasAndValentine. A cette occasion, elle répond aux questions d' »Univers-Cités ».

« Univers-Cités » : Qu’est-ce qui semble plus important pour vous en ce moment? Repartir sur le terrain, dans des zones de guerre, ou plutôt lutter pour les journalistes retenus comme Valentine Bourrat et Thomas Dandois ?
Rémi Ochlik, photographe de guerre mort le 22 février 2012 à HomsOn peut et on doit faire les deux. Je pense que par respect pour tous les copains que j’ai perdu sur le terrain… Pour Rémi Ochlik, pour Camille Lepage, pour Marie Colvin, pour Olivier Voisin, pour Ghislaine Dupont et Claude Verlon, je continuerai à faire mon travail, à y retourner. On vous parle de journalistes qui ont été tués mais ce qu’on oublie, c’est le quotidien des populations sur place, ce que tous ces journalistes étaient partis raconter. Forcément, c’est de plus en plus difficile, compliqué, risqué et il y a des trous noirs dans l’information de plus en plus nombreux. On ne parle plus des habitants qui subissent l’emprise de Daesh à Mossoul en Irak, à Racca en Syrie[…]
Le nombre de journalistes locaux qui meurent pour avoir essayé de raconter est de plus en plus important. Ça ne veut pas dire qu’il faut oublier ceux qui sont retenus comme Valentine et Thomas. Il faut penser à eux, les soutenir, leur envoyer des mots. On est une grande famille et il ne faut jamais l’oublier.

Est-ce que vous pensez que les médias sont aussi otages du terrorisme avec cette question: jusqu’où peut-on aller avec l’information ?
Qu’est-ce qu’il faut dire et comment il faut le dire. Je pense qu’il faut continuer à en parler, c’est le débat qu’on a eu: qu’est-ce qu’il faut dire ? Est-ce qu’il faut jouer à se faire peur, comme l’ont fait certains ? Moi, je ne suis pas pour donner des cibles possibles d’attentats en France, c’est juste propager la peur chez les Français, c’est leur dire ne plus prendre l’avion, de ne plus aller dans les gares parce que là il y a un risque possible d’attentat. Par contre il faut leur dire qui sont ces hommes, pourquoi ils ont rejoint ces rangs-là, qu’est-ce qu’ils veulent et comment vivent les populations, j’insiste, qui subissent leurs tortures permanentes.

Quels conseils, d’après vos expériences, vous donneriez à des étudiants en journalisme qui voudraient partir et être grands reporters ?
De ne pas partir là-bas tout de suite. Quand on voit ceux qui ont été tués, ceux qui sont arrêtés, ceux qui sont otages, le danger n’est pas seulement pour les free-lances mais pour tous les journalistes. On ne meurt pas parce qu’on est jeune free-lance mais parce qu’on n’était pas au bon endroit. Malheureusement, ils n’ont pas fait d’erreurs, on ne peut pas leur en vouloir. […] Il y a plein de reportages à faire, plein de situations à comprendre avant d’aller se risquer à s’approcher des « hommes en noir ».

Pierre Haski parlait d’une nouvelle forme de harcèlement, de terrorisme, cette fois sur le territoire français. Êtes-vous inquiète par rapport à ce que vous avez vu en Syrie?
Non. Ce cyber-terrorisme, effectivement, est bien plus grave en Syrie. Une société française, d’ailleurs, leur a vendu les moyens de surveiller le net au début de la révolution, tout comme en Libye, ce qui a permis l’arrestation de nombreux activistes internautes… Il y a forcément dans tous ces pays un danger pour les activistes, pour toutes les personnes qui se permettent d’avoir un avis contraire au régime. Mais en France, je pense qu’on n’a pas le même risque, par rapport aux autorités françaises déjà. Il y a par contre ces hackers, Reporters Sans Frontières met en place une formation là-dessus. Il faut aller les voir, apprendre, comprendre comment verrouiller son ordinateur, protéger ses données de ces trolls et de ces fous du net.