Ca y est. Je flippe. J’ai l’estomac noué, un solide mal au crâne et une sueur froide coulant le long de ma nuque. J’attends ici, seule dans le couloir, en n’ayant qu’une seule envie…prendre mes jambes à mon cou.
Je me suis pourtant bien préparée, j’ai pris du temps pour choisir ma tenue ce matin. D’ailleurs j’ai remarqué que, dans ces occasions, les hommes s’habillent souvent en pingouins (entendre costard-cravate) et les femmes cherchent à tout prix à impressionner en talons. Bon, le mien s’est coincé dans une grille en sortant du métro, il s’est cassé, et en plus j’ai réussi à m’emmêler les cheveux dans cette fichue plante verte derrière moi. Bref, j’ai vraiment pas fière allure. Et comme si ça suffisait pas, j’ai pris un Coca tout à l’heure pour me calmer les nerfs et bien sûr, j’en ai renversé sur ma veste. Donc me voilà en chemisier, bras nus, à grelotter parce qu’il n’y a pas de radiateur dans ce satané couloir !
Je passe en revue les documents apportés pour soutenir ma défense, les preuves pour démontrer ma bonne volonté, en me demandant si ça fera vraiment basculer leur jugement en ma faveur. Je répète dans ma tête pour la cent-cinquantième fois (sûrement) ma plaidoirie. Est-elle trop bancale ? Pas assez argumentée ? Pas assez convaincante ? Je l’ai pourtant travaillée pendant des semaines, faisant des brouillons, les jetant, l’écrivant en entier, l’apprenant par cœur…tout ça peut-être pour rien.
J’ai un frisson en pensant aux personnes derrière cette porte. Quel plaisir sadique les a poussés à faire partie de ce tribunal inquisiteur? Qu’est-ce qu’ils peuvent ressentir à fouiller minutieusement dans la vie des gens pour y trouver LA faille? Qu’est-ce qu’on ressent à détenir l’avenir de pauvres infortunés entre ses mains? A scruter ses gestes, ses paroles ?
Ils doivent forcément aimer ça, aimer cette sensation de pouvoir.
Et moi, j’attends encore…
J’imagine qu’en ce moment même, ils doivent démolir quelqu’un d’autre, le ou la traumatisant. Il ou elle doit voir son futur se désagréger, ses plans partir en fumée, simplement à cause de dix petites minutes fatidiques qui se sont mal déroulées.
Et moi, j’attends toujours.
Soudain la porte s’ouvre, une femme se montre dans l’encadrement.
«Mademoiselle, veuillez entrer s’il-vous-plaît. C’est votre tour
Voilà. C’est mon tour. Je rassemble de mes mains fébriles tous les papiers, ma veste tachée sur le bras, et je la suis à l’intérieur, les cheveux hirsutes et la démarche de Long John Silver en bonus.
Me voici face aux jurés. Ils me regardent. Je les regarde. On se regarde, quoi. Je me sens nauséeuse tout à coup.
Bon sang, ce que je déteste les entretiens d’embauche !