D’une pierre, deux coups. Jeudi 21 mars, Edwy Plenel, directeur et co-fondateur de Mediapart était doublement invité par la librairie Ombres Blanches et le festival Cinélatino pour un échange autour du thème « médias et politique » dans le cadre de la sortie de son livre « Le droit de savoir ». Une rencontre qu' »Univers-cités » n’a pas voulu manquer.

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Photos: © Florian Bardou

Figure charismatique au sourire bienveillant derrière sa moustache, Edwy Plenel enchaîne les références culturelles, politiques et historiques. Il cite Nietzsche, Bailly, Foucault. Il récite les premiers vers du poème Caminante, no hay camino d’Antonio Machado. Il rend hommage à Stéphane Hessel avec “nous sommes tous responsables de notre liberté”, réconciliant Camus et Sartre, et s’accorde même un exemple tiré du dernier James Bond…

Son discours est rythmé par ses nombreuses anecdotes en tant que rédacteur en chef du journal Le Monde pendant vingt-cinq ans puis pendant ses cinq dernières années avec Mediapart. Il se rappelle ainsi le dossier Greenpeace qui lui a donné une certaine notoriété ou encore celui des écoutes illégales de l’Elysée dans lequel il était soupçonné de faire partie de la CIA, il mentionne également les affaires Merah et Bettencourt. Puis il annonce que, malgré les allégations de Jérome Cahuzac, aucune plainte n’est finalement arrivée à son bureau.

Discours bien ficelé, dérives parfois déconcertantes, élocution envoûtante, Edwy Plenel est, selon le jargon journalistique “un bon client” qui sait comment répondre aux journalistes et comment satisfaire et amadouer ses interlocuteurs. Une attitude sympathique et pédagogue, qui pourtant intrigue. Bien que très médiatisé, on ne sait jamais très bien qui se cache vraiment derrière ce personnage qui en impose. Une prestation de plus d’une heure et demie que l’on pourrait presque qualifier de plaidoyer pour la démocratie.

Un combat pour la démocratie

Si le premier manifeste de Mediapart, Combat pour une presse libre, expliquait la raison d’être de ce journal, le bouleversement numérique et la création d’une valeur économique pour la presse en ligne, Le droit de savoir est davantage un état des lieux après cinq ans d’existence. Et comme point de départ cette fois-ci, la question : qu’est-ce que la démocratie ? « Une interrogation très concrète dans les temps que nous vivons« , selon Edwy Plenel, qui la définit tantôt comme « un idéal, le régime de n’importe qui, sans privilège de naissance, sans privilège de fortune, de diplôme…”, puis comme “une délibération permanente » et « un scandale permanent qui aura contre elle, tout le temps, sous des visages différents, de nouvelles oligarchies« .

L’idée du Droit de savoir, c’est donc « d’expliquer, le plus pédagogiquement, le plus concrètement, le plus simplement possible, quel est l’enjeu démocratique qu’il y a derrière la question de l’information« . Car en France, il y a une vision très pauvre de la démocratie, “c’est une démocratie de basse intensité”, n’hésite-t-il pas à dénoncer. “Dans ce contexte, il y a là un élément décisif qui est celui de l’information : comment je vais m’en mêler en conscience, comment je vais m’en mêler de façon raisonnée. Il faut que je sois informé, il faut que je sache ce qu’il se fait, ce qui se trame, ce qui se décide en mon nom. C’est ce droit de savoir qu’il faut défendre en revitalisant profondément notre culture démocratique”.

Au service du numérique

Il s’agit de défendre le meilleur de la tradition au service de la modernité”, résume le directeur de Mediapart. Dans ce contexte de révolution profonde des médias avec le changement des modèles économiques des journaux et du métier de journaliste en lui-même, il défend alors son propre modèle numérique payant, dont le but est de préserver la qualité de l’information. Un journal qu’il considère au service de cette démocratie, n’hésitant pas à dénoncer, fouiller… Un vrai travail d’enquête, “de reconstruction de puzzle” auquel tout journaliste devrait s’adonner. Un travail d’autant plus important que, grâce au numérique, l’information se diffuse : “La particularité d’un journal numérique, c’est d’être un journal sans frontières, construit dans une relation horizontale, non seulement avec les lecteurs mais aussi avec les pays, les cultures, les histoires”.

Une relation, qui par un “hasard heureux”, a permis à Mediapart de créer un partenariat journalistique avec l’Espagne, pourtant mal en point au niveau de ses médias. Alors que 8 600 personnes ont été licenciées dans ce secteur, Mediapart se voit presque en sauveur en “acceptant d’être un peu présent dans leurs capitaux”. Infolibre est ainsi né il y a quelques semaines. Depuis, “on a beaucoup entendu de Cazuhac en espagnol”, plaisante-t-il. Un partenariat qu’il espère pérenniser.

Démission de Jérôme Cahuzac, puis mise en examen de Nicolas Sarkozy. Une série d’événements encore chauds qui ne font qu’augmenter la notoriété du webjournal et de ses journalistes, pourtant souvent critiqués. Parce que “Médiapart au fond, ce sont des petits poissons, assez vifs, rapides face à des gros requins, mais dans une mer polluée. Le droit de savoir c’est donc vous inviter à dépolluer tous ensemble cette mer”, conclut Edwy Plenel, une métaphore de plus au répertoire.