Les rencontres de la presse indépendante ont eu lieu ce week-end à Toulouse. Retour sur une discussion autour du travail d’enquête sociale dans les trois médias participants : «Z», «Article 11» et «CQFD».

« Sous les rotatives, la plage ». Le ton était donné pour ces rencontres de la presse indépendante à Toulouse, ce week-end. Des événements dans différents lieux, dont le Kiosk, le Centre Culturel Autogéré CRÉA, le bar Le Petit London, ou encore la librairie indépendante Terra Nova.

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Il y avait foule à Terra Nova ce samedi pour une discussion autour du travail d’enquête sociale dans la presse indépendante avec des membres de la fine fleur des titres « différents » du papier français : la revue Z, Article 11 et CQFD, des publications qui partagent un même rapport au journalisme.

CQFD (« Ce qu’il faut dire, détruire, développer… ») paraît tous les mois et se présente comme un journal de critique sociale. Il questionne la finance, les médias dominants, et fait une grande place aux mouvements sociaux.
L’Article 11 est parti d’un site en 2008 pour s’enrichir deux ans plus tard d’une publication papier tirée à 15 000 exemplaires et distribuée en kiosques. Son titre est une référence à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui institue la liberté de « parler, écrire, imprimer » comme un des droits humains les plus précieux. La revue Z, quand à elle, paraît deux à trois fois par an et a fait le choix de se distribuer en librairie. Z étant une revue itinérante, chaque numéro porte sur un lieu différent et sur les luttes et rapports de forces qui s’y déroulent.

Surtout, ne dépendre de personne

Tous refusent la publicité. Ils s’en expliquent par une recherche acharnée d’indépendance financière. Et en plaisantent aussi quand on les questionne sur la nécessaire instabilité qui en découle : « On n’a pas peur de devenir précaires, puisqu’on l’est déjà !’ s’exclame un des rédacteurs de CQFD. La plupart des rédacteurs de ces publications a d’ailleurs un emploi en parallèle. Pour Julia, qui publie des ‘Chroniques Portuaires’ dans l’Article 11, refuser les apports financiers autres que ceux qui viennent des lecteurs est essentiel : « Si on accepte des subventions de n’importe quel organisme public, ça questionne notre indépendance, notre capacité à critiquer directement l’action de cet organisme, et c’est un choix qu’on ne fait pas. ». Les trois publications vivent ainsi uniquement des abonnements et des dons de leurs lecteurs.

Ils veulent se poser à côté des médias dominants, et expliquent que leur démarche induit un rapport différend au temps. Comprendre les gens, leurs motivations, leurs luttes, cela signifie pour Ferdinand, rédacteur à Z, refuser l’urgence de l’actualité. Il explique son travail d’enquête sociale : à chaque numéro, il faudra s’installer, nouer des contacts, entrer en confiance avec les acteurs du problème.

C’est d’ailleurs le fond de l’enquête sociale pour ces médias indépendants : prendre le temps, incarner une situation, démêler les rapports de force. Même quand il ne s’agit pas d’une mobilisation temporaire. Par exemple, Ubifaciunt écrit dans l’Article 11 une chronique qui raconte son travail d’éducateur social. « Il ne s’agit pas d’une lutte spectaculaire, c’est une succession d’évènements du quotidien, qui renferment une violence symbolique à divers degrés. Écrire cette chronique, c’est aussi faire une enquête », poursuit Julia.

Une information « avec » les gens

Le rapport des contributeurs aux mouvements qu’il tentent d’illustrer est somme toute assez simple : celui de la sincérité. « Nous ne voulons pas produire un discours « sur » ou un discours « pour ». Nous voulons produire un discours « avec », continue Ferdinand. Il ne s’agit pas d’être complaisant : les reportages peuvent parfois pointer les contradictions au sein des mouvements sociaux et créer des conflits. Mais Ferdinand affiche la volonté de Z de servir d’outil à ces mouvements en leur donnant la parole, sans imposer une vision du problème venue de l’extérieur. Antimollusque, rédactrice à l’Article 11, renchérit « Godard disait « Il s’agit de raconter autrement pour dire autre chose »… Nous ne voulons pas imposer une hiérarchie entre nous et les gens dont nous parlons ».

Tous évoquent d’ailleurs leur volonté de ne pas émaner d’une certaine classe sociale. Cela passe par exemple par un rapport plutôt pédagogique à l’histoire des mouvements sociaux. « Quand on parle d’un sujet, on ne se dit pas que le connaître est évident pour tout le monde ou que nos lecteurs feraient mieux de lire un peu plus. Alors on fait un encadré, on explique de quoi il s’agit. ». Cette volonté d’être accessible à tous se traduit aussi par le fait que les trois publications sont distribuées gratuitement aux chômeurs, désargentés et prisonniers.

La discussion continue entre questions du public et réponses des intéressés. Des commentateurs du site Internet de l’Article 11 signalent leur présence, on découvre un visage sous un pseudo. Les rires fusent, et on est déçus quand l’équipe de Terra Nova annonce l’heure de la fin du débat. Les participants se retrouvent dehors pour une cigarette et une dernière question. Malgré les galères, les médias indépendants affichent une belle énergie et l’envie de continuer leur indispensable travail d’information. Sous les rotatives, la plage ! Presque comme en Mai 68.

Pour aller plus loin

Le site de Z

L’article 11

CQFD

La librairie Terra Nova