S’interroger sur les relations qu’entretient le monde politique avec la sphère médiatique, c’est presque devenu un « marronnier » dans le langage journalistique.

Depuis quelques années, les médias n’ont de cesse de faire leur autocritique, pressés qu’ils sont par l’émergence de nouveaux acteurs numériques et l’explosion de la figure du citoyen-rédacteur. Collusion, connivence, reproduction sociale, élitisme, les critiques à l’encontre des liens qui unissent le champ médiatico-politique sont légion. Invité dans le cadre des conférences « Cap sur 2012 : Vivre et penser la présidentielle  », Bruno Dive, éditorialiste à Sud Ouest, les trouve surtout exagérées. Compte-rendu.

545205_403940679618643_100000081425759_1674268_1214242145_n.jpg

La proximité idéologique entre le politique et les médias n’est pas nouvelle. Déjà sous la Révolution Française, le premier et quatrième pouvoir se tutoyaient. « C’est cette rencontre d’un journalisme individualisé avec la politique de masse qui fait de la décennie révolutionnaire un chapitre sans pareil dans l’histoire des médias » écrit Jeremy Popkin dans La presse de la Révolution avant d’enfoncer le clou : « Ce n’est pas par hasard que la peinture la plus célèbre de la Révolution, « La Mort de Marat » de Jacques-Louis David montre un journaliste, la plume à la main ». Jean-Paul Marat rédacteur de L’Ami du peuple et… député montagnard. La conclusion de l’enseignant à l’Université du Kentucky est du même acabit : « Jamais auparavant et jamais après cette époque on n’a vu une fusion si intime entre le pouvoir politique et l’écriture. » Dont acte.

La médiacratie ?

Deux cents vingt ans plus tard, rien n’a changé ou si peu. Si le mélange des genres n’est plus aussi affiché, il perdure de façon insidieuse. Derrière chaque média, son patron de presse aux intérêts politico-économiques certains. Au-dessus de chaque journaliste, une ligne éditoriale à respecter. Difficile dans ces conditions de garder une indépendance d’esprit totale, même si le temps où un ministre fâché par un article prenait son téléphone pour réprimander son auteur semble être (dé)passé.

Désormais, chaque journaliste est confronté à un même dilemme. De deux choses l’une : soit il cantonne ses relations avec les hommes politiques au cadre strictement professionnel, préférant son indépendance à la course au scoop ou à la petite phrase, soit il fait de la proximité avec le personnel politique un mal nécessaire sacrifiant sur l’autel de l’information exclusive sa liberté d’écriture.

Pour Bruno Dive, le choix entre l’école Edwy Plenel (fondateur de Mediapart et « père la morale » du journalisme) et celle Franz-Olivier Giesbert (directeur de la publication du Point qui ne cache pas ses accointances avec le personnel politique) est un faux débat : « Certes la connivence entre les journalistes et les hommes politiques est indéniable, mais je pense qu’elle est bien souvent exagérée puisque chacun arrive à faire la part des choses. Venir du même milieu ne signifie pas que l’on va être complaisant. » Mais le journaliste concède bien volontiers que ces rapports passent mal auprès d’une opinion publique de plus en plus rétive vis-à-vis d’un contre-pouvoir qui le serait de moins en moins.

Car cette proximité reprochée à ce que les détracteurs du quatrième pouvoir appellent les « éditocrates » est assumée par le journaliste de Sud Ouest. « Pour écrire mes éditos, mais aussi pour rédiger mes livres politiques, je me sers principalement des entretiens que j’ai eu avec les hommes politiques, des confidences qu’ils me font, des propos en off que je recueille. » Bridé par la ligne éditoriale de Sud Ouest lors de ses écrits sur papier journal, Bruno Dive serait-il à l’inverse plus libre quand le journaliste devient écrivain ? Non et trois fois non.

« En tant que journaliste politique, je ne peux écrire tout et n’importe quoi dans mes livres. Je ne peux dévoiler complètement mes opinions politiques sous peine de perdre un certain crédit dans mon métier.  » Crédit qui fuit d’ailleurs les médias dont le suivisme est déploré par la population et résumé d’une formule par l’intervenant : « La mécanique médiatique est toujours la même : on lèche, on lâche, on lynche  ». Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Dominique de Villepin, tous sont passés par là.

Peut mieux faire

Autre thème abordé lors de cette conférence : le respect de la vie privée des personnalités publiques. Depuis l’affaire DSK et l’emballement médiatique qui s’en est suivi sur les frasques de l’ancien directeur du FMI, la profession est en plein examen de conscience : jusqu’où fallait-il aller dans cette surenchère au sordide ? Pour Bruno Dive, ses confrères doivent mettre un terme à cet exercice d’auto-flagellation, très franco-français, pour à la place s’honorer de leur retenue dans le traitement opéré : « En évitant de tomber dans le trash, et le sensationnalisme à tout crin, les médias français ont joué leur rôle. Et quoi qu’ils disent, je pense que les quotidiens anglo-saxons n’ont pas de leçon de déontologie à nous donner. »

Pour autant, à y regarder de plus près, la France ferait parfois bien de s’inspirer des pratiques outre-Atlantiques. Alors que dans l’Hexagone, journalistes et politiques font bon ménage voire ménage tout court (Audrey Pulvar et Arnaud Montebourg, Jean-Louis Borloo et Béatrice Schonberg…) ; certains grands titres historiques de la presse anglo-saxonne n’hésitent pas à proscrire toute relation de copinage. Ainsi, la politique du New York Times stipule que prendre un verre avec un politique reste de l’ordre de l’exceptionnel tandis que d’autres médias brandissent la « disclosure of interest » obligeant ses rédacteurs à dévoiler leurs potentiels conflits d’intérêt (économique et/ou politique) avec un sujet traité.

Des comportements bien loin de la mentalité française : « Même s’il est assez regrettable du point de vue de l’image que cela renvoie, de voir des couples journaliste-politique ou seulement des amitiés se nouer entre eux, je ne pense pas que l’on peut pour autant remettre en cause leur intégrité professionnelle.  » En tout cas, cela n’a pas empêché l’éditorialiste de Sud Ouest d’écrire plusieurs livres poil à gratter sur nos deux derniers Présidents de la République.