Ils ont la trentaine, sont freelance ou envoyés spéciaux, et ont vécu pour certains leur « baptême du feu » en 2011 en zone de guerre. Leur culture est celle du terrain. Ils sont là pour comprendre, faire comprendre et décrypter. Comment vivent-ils au quotidien leur métier ? Comment les médias français ont-ils assuré leur sécurité, leur prise en charge logistique et psychologique ? Cinq jeunes reporters racontent leur métier.

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Lorsque les grands reporters sont envoyés en zone de conflit, ils risquent leur vie. Les médias doivent faire en sorte que les journalistes, mêmes pigistes, souscrivent à une assurance. Mais les assurances sont chères, y compris pour les grands groupes. Lorsque Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier ont été envoyés en Afghanistan pour le magazine Pièces à conviction de France 3, France Télévisions n’a pas souscrit à une assurance enlèvement. Pourtant, la précaution n’aurait pas été inutile puisque les deux journalistes ont été pris en otage et sont restés 547 jours entre les mains d’un groupe de Talibans. « Je peux le comprendre, car les enlèvements ont lieu tous les dix ou quinze ans. Si les médias devaient assurer chaque journaliste contre l’enlèvement, cela coûterait trop cher » a affirmé Hervé Ghesquière lors des Assises du journalisme.

En attendant, faute de moyens, certains pigistes partent en zone de guerre sans être assurés. Parfois, les journalistes blessés ne peuvent pas payer les soins médicaux. Face à cette situation, Reporters Sans Frontières a décidé d’agir. L’association propose des solutions d’assurances à bas prix pour les jeunes journalistes freelance. Ces assurances prennent en charge le rapatriement et les soins médicaux. Une solution bienvenue pour certains journalistes pigistes qui travaillent à perte. « Lorsque l’on part en reportage, il faut payer les billets d’avion, l’hébergement et le fixeur (l’interprète et le guide du journaliste, ndlr). Certains médias indemnisent mais pas tous » raconte Édith Bouvier qui a travaillé pendant plusieurs années en tant que journaliste pigiste pour Le Figaro et RFI. Le 22 février 2012, cette passionnée du monde arabe a été blessée à la jambe lors d’un bombardement de l’armée syrienne qui coûta la vie à Marie Colvin et Rémi Ochlik. Édith Bouvier est restée bloquée à Homs jusqu’au 1er mars avant d’être exfiltrée dans des conditions difficiles et finalement rapatriée en France. La journaliste a récemment été embauchée en CDI par Le Figaro, suite aux promesses faites par le titre.

Sécurité et assurances

Dans les médias anglo-saxons, les journalistes sont obligés d’être assurés. Les démarches concernant la sécurité ne sont pas les mêmes qu’en France. Les médias tels que Reuters, la BBC ou encore Associated Press (AP) protègent systématiquement les journalistes car, en cas de prise d’otages, l’État n’intervient pas dans les négociations. Certains journalistes sont accompagnés de gardes du corps qui assurent leur sécurité ou bien sont « embedded » avec des forces armées. Mais cela pose un problème déontologique. Le journaliste n’est plus libre d’aller où il veut, quand il veut. Cela change totalement son mode de travail.

Malgré les risques encourus, les journalistes sont toujours prêts à couvrir les événements. Contrairement aux idées reçues, ils n’enjambent pas des cadavres à longueur de journée. « La guerre, c’est plus complexe que des cadavres. Certains quartiers sont calmes. Il y a beaucoup d’attente. La guerre, c’est la vie dans des dimensions particulières. On ne nage pas dans des flots de sang constamment, malgré l’existence de certains massacres » raconte Hervé Ghesquière.

David Thomson, 32 ans, a couvert la guerre en Lybie en 2011 pour France 24 et RFI. Pour lui, la guerre crée des moments de fraternité entre les journalistes. « Il nous arrive de vivre des choses pas très marrantes mais on est ensemble, on crée des amitiés. L’actualité est dramatique mais ce sont des évènements qui nous rapprochent ».

« La concurrence nous pousse à faire mieux »

Sur les grands événements de l’Histoire, la concurrence entre les médias est largement présente. Les journalistes se retrouvent tous aux mêmes endroits, au même moment. Il faut être là où l’actualité se fait. « C’est stimulant lorsqu’il y a du monde sur le terrain. On se retrouve, c’est plutôt sympa. Et puis la concurrence nous pousse à faire mieux. Il faut trouver d’autres angles, affiner notre récit » explique Alfred de Montesquiou parti en Lybie et en Syrie pour une série de reportages pour Paris Match.

Édith Bouvier, quant à elle, préfère éviter les gros événements. « Je ne suis pas à l’aise lorsqu’il y a trop de collègues. Mais c’est vrai que l’on apprend les uns des autres. C’est beaucoup plus dur d’être tout seul. On a moins de concurrence mais il n’y a personne le soir pour débriefer ou tout simplement discuter ».

Marine Olivesi fut la première journaliste arrivée près du cadavre de Kadhafi. Elle a collaboré à France 24 et Radio France mais travaille principalement pour des radios américaines. Pour elle, l’actualité brûlante ne dure qu’un temps. C’est alors un avantage d’être freelance car les médias ne peuvent pas toujours envoyer leurs propres journalistes pour suivre la suite des événements. « Ce n’est pas tous les jours la chute de Tripoli. Les pigistes ont une marge de manœuvre car les staffs des médias ne restent pas longtemps sur place ».

En effet, dès que le fait d’actualité est terminé, les journalistes des grands médias repartent aussi vite qu’ils sont venus. Seuls les freelance peuvent alors proposer aux médias un suivi des événements. Après chaque guerre, il y a une reconstruction. Et c’est aussi quelque chose qui peut faire l’actualité.

Beaucoup de jeunes journalistes ont fait leurs premières armes sur les conflits du Printemps arabe. Ils ont vécu des moments rares. Être grand reporter en zone de guerre, c’est faire partie de l’Histoire. C’est comprendre les idéaux qui animent les acteurs du conflit et les retranscrire le plus fidèlement possible. C’est donner les clés pour une meilleure compréhension du monde contemporain. L’objectivité ne demeure qu’un idéal, car être grand reporter, c’est voir les conflits de l’extérieur. Le journalisme universel n’existe pas. C’est l’honnêteté journalistique qui pousse les grands reporters à continuer leur métier malgré les risques.