Crédit photo : ALEIF (Association pour la laïcité et l’entraide internationale des femmes)

Ebru Firat, jeune étudiante kurde originaire de Toulouse, subsiste depuis la 9 septembre 2016 dans la prison d’Istanbul. Partie combattre Daesh, elle a été condamnée à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste. L’avocate « militante » Agnès Casero, a été sollicitée par l’entourage d’Ebru Firat au lendemain de son interpellation, le 8 septembre 2016 à Istanbul. Avocate de la jeune étudiante depuis 1 an et demi, elle se bat corps et âme pour obtenir son transfèrement en France pour qu’elle puisse y purger sa peine. Le 21 février dernier, elle est allée lui rendre visite dans sa cellule à la capitale économique turque.

Comment décririez-vous Ebru Firat ?

J’ai rencontré Ebru Firat pour la première fois en décembre 2016. C’était lors de ma première visite à la prison d’Istanbul, un mois après la première condamnation du Tribunal du 8 novembre 2016. J’ai rencontré une femme forte, courageuse et enthousiaste, qui a vécu des choses dures. C’est quelqu’un qui une force mentale remarquable, qui parvient à dompter sa propre peur et à tenir le coup dans des conditions de vie très difficiles. Ce qui est aussi très dur c’est la situation incertaine dans laquelle Ebru se trouve : savoir si elle pourra ou non obtenir un transfèrement en prison française, que j’ai demandé en décembre dernier auprès des ministères concernés.

Le 21 février dernier, vous lui rendez une nouvelle fois visite en prison. Quelles sont ses conditions de détention ?

En qualité de prisonnier politique, elle est soumise à un régime d’incarcération spécial : elle est seule, dans sa cellule de 4m2. Elle a droit à 20 minutes de promenade par jour dans une cours de 20m2. C’est le seul moment où elle peut prendre l’air. De plus, elle a le droit de communiquer par téléphone avec sa famille, par écrit avec moi. Elle vit dans des conditions très dures mais qui ne sont pas inhumaines.

Comment vit-elle physiquement et psychologiquement cette situation d’enfermement ?

Lors de mon dernier voyage en Turquie, Ebru expliquait qu’elle commençait à supporter très mal la détention, surtout physiquement. Elle manque de place dans sa cellule exigüe. Sa vue a baissé puisque la télévision est à seulement 1 mètre 50 de son visage. De plus, son corps commence à être enkysté car elle ne fait pas assez de sport. Il y a quelques mois, elle ne pouvait plus bouger. Elle a alors été hospitalisée et les radios ont révélé un début d’hernis discale. Je l’ai sentie souffrante mais très digne, très vaillante moralement. Elle s’habitue, elle explique qu’elle n’a pas le choix. Le soutien de sa famille et des personnes qui se mobilisent pour sa cause en France l’aide à tenir.

Quelles difficultés avez-vous rencontré pour pouvoir rendre visite à Ebru Firat à la prison d’Istanbul ?

Les avocats français ne sont pas reconnus en Turquie et je n’ai reçu aucune aide du consulat de France à Istanbul. J’ai fait appel à un confrère turc francophone à Istanbul qui a été mon relai sur place et avec lequel je suis en relation permanente. Grâce à lui, j’ai été autorisée par les autorités turques à rencontrer Ebru. J’ai pu entrer dans la prison trois mois après son incarcération en décembre 2016. Le directeur de la prison turque avait accepté de me recevoir une deuxième fois en février dernier. Il m’a laissé voir Ebru pendant le temps que je souhaitais : nous avons pu discuté pendant 1h30. Et j’ai même été autorisée à lui rendre visite une seconde fois sans difficulté, six jours plus tard.

Le 1er décembre 2017, vous avez fait une demande de transfèrement en France auprès des Ministères de la Justice et des Affaires étrangères. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le dossier a-t-il avancé ?

Les jugements sont définitifs et elle purge depuis 1 an et demi sa peine. Donc la seule chose que l’on puisse espérer c’est son transfèrement en France, pour qu’elle puisse purger sa peine sur le territoire français. Ce qui suppose, bien évidemment, un accord de la justice turque. Tout cela est en cours et prend du temps.

 

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Au regard du droit, a-t-elle été incarcérée dans la légalité ?

Oui, le cas a été correctement traité jusqu’à présent. Il n’y a pas eu de système abusif. Mais on peut discuter sur le bien-fondé de l’infraction : est-ce qu’il est normal de condamner une personne pour une infraction qui n’est qu’une appartenance à un groupe ? Pour sa défense, l’infraction est peu formelle. C’est-à-dire que l’unique appartenance à un groupe est un argument creux. Et sur le fond, il n’y a aucun acte délictueux qui a été commis sur le sol turc. Deuxièmement, Ebru Firat était déjà symboliquement revenue en France quand elle a été interpellée. Elle avait quitté les lignes de guerre pour revenir à Toulouse et y faire sa vie. L’appartenance à un groupe était derrière elle.

Avez-vous reçu des soutiens de la part du gouvernement et de l’opinion publique ?

De la part du gouvernement, nous n’avons pas encore de réel soutien. Pour tenter d’alerter le Président de la République et ses ministres, nous organisons avec l’Association ALEIF (Association pour la laïcité et l’entraide internationale des femmes), dont je suis la présidente, une soirée de soutien à Ebru Firat le 26 avril à la salle San-subra. Cette conférence sera animée par l’auteur et journaliste Patricre Franceschi, qui soutient le dossier Ebru Firat depuis deux ans. Il avait déjà signé un article dans le Monde pour appeler la diplomatie française à me soutenir dans les démarches, mais cela n’avait malheureusement pas abouti. Nous avons également lancé une pétition « Pour le retour d’Ebru en France » qui circule sur Internet et que nous invitons à partager. Nous approchons doucement le pallier des 2500 signatures. De plus, j’anime la page Facebook « Soutien national à Ebru Firat » pour tenir les internautes, qui soutiennent Ebru, informés de l’avancée du dossier.