À l’occasion de la journée contre les violences faites aux femmes, « Le Nouvel Observateur » publie un manifeste d’une grande ampleur, qui vise à mettre le doigt sur les carences législatives françaises à propos du viol mais surtout, à lancer un signal d’alerte à toute la société.

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Je me suis fait avorter” cette phrase simple et pourtant loin d’être banale, est celle d’une des nombreuses révolutions silencieuses du combat féminin qui a largement contribué à la légalisation de l’avortement en France. Cette phrase c’est celle du manifeste des 343 salopes. Ces 343 femmes qui parmi tant d’autres ont assumé en 1971 leur acte dans les colonnes du Nouvel Obs.

Face à une société encore minée par le tabou et les non-dits, des anonymes, et des femmes célèbres telles que Marguerite Duras, Françoise Sagan ou Jeanne Moreau dévoilaient leur intimité à l’heure où certains désignaient l’avortement dans des termes peu favorables au dialogue : « Cette tentative de légalisation du meurtre, est un premier pas dans la voie de l’extermination idéologique qui, après les bébés mal aimés, prendra pour cibles les infirmes et les impotents, les débiles mentaux et les clochards…« .

Et pourtant, malgré les épaisses barrières mentales, ce combat mené de front par Simone de Beauvoir et le procès de Bobigny aidant, le Parlement français votait en décembre 1974 la loi autorisant l’avortement en France.

Un nouveau manifeste, pour un très vieux combat

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Prendre un tabou à bras-le-corps, le dire, l’imprimer, le diffuser, le hurler le plus fort possible, la voilà peut-être la solution face à l’inertie. Quarante et un ans après le manifeste des 343 salopes, le ton remonte au Nouvel Obs. Le principe est le même : des femmes, révèlent l’inavouable, tout du moins ce que la société refuse d’entendre : « j’ai été violée ». Ce manifeste des 313 c’est encore l’histoire d’une honte injustifiée, d’une douleur, d’une incompréhension, et surtout d’un combat commun.

À l’initiative de Clémentine Autain, journaliste et militante de la gauche radicale, ce manifeste qui a été diffusé le 22 novembre dans le Nouvel Obs rappelle que le viol est un fait de société massif. Ces femmes signataires ont un statut, un emploi et par ce geste elles souhaitent prouver qu’elles n’ont plus honte, car cette honte, c’est sur l’agresseur qu’elle doit peser.

Un viol toute les huit minutes

Parmi ces femmes, il y a Clémentine Autain, qui déclare avoir été violée à 22 ans à la sortie de l’université, Isabelle Demongeot championne de tennis abusée 9 ans durant par un entraîneur manipulateur, Frédérique Hebrard romancière de 85 ans enlevée et violée il y a 43 ans, mais aussi des collégiennes, des mères de familles… qui racontent leur cauchemars. Des vies détruites par des « jeux de collègiens stupides », des « papa qui aiment un peu trop leurs petites filles ».

Témoignages poignant d’un drame, qui, loin d’être isolé, touche tous les échelons de la société. Aujourd’hui , un viol se déroule toutes les 8 minutes en France soit plus de 75 000 victimes par an (ce chiffre ne comprenant pas les mineures). Le bilan est lourd puisqu’une femme sur dix a subi ou subira un viol une fois dans sa vie.

Loin des clichés et des idées reçues , le cas de la jeune fille entraînée dans un coin sombre avant d’être agressée est finalement un cas rare, et la proximité de la victime avec l’agresseur (dans 80% des cas) rend son accusation souvent difficile voire impossible.

Un acte politique

Nous sommes en 2012, la loi du silence doit être brisée. Face à une justice qui fonctionne au ralenti et à une société aux écoutilles bien fermées, Clémentine Autain, suivie des 313 autres et probablement de toutes celles qui n’ont pas encore fait la démarche difficile de l’aveu, déclare : “Nous voulons briser le silence sur ces millions de femmes violées. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir été violée. Le dire publiquement, ensemble, est un acte politique. Ce manifeste est une interpellation des pouvoirs publics et de la société tout entière pour favoriser l’émergence de notre parole, ici et maintenant« .

Selon L’INDSEE en 2009, sur 75000 cas estimés, seulement 10% feraient l’objet d’une plainte et 2% d’une condamnation. Rappelons que, selon l’article 222-23 du Code penal Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

La loi existe, oui mais… Le procès reste aujourd’hui un chemin semé d’embûches où la victime doit prendre son mal en patience et repéter, revivre l’événement des années durant (parfois une dizaine d’années).

Najat Vallaud Belkacem, ministre du Droit des femmes a entendu le message, auquel elle a répondu: « Il faut que l’on arrête de considérer les violences faites aux femmes, les viols en particulier mais les violences dans leur ensemble comme relevant de l’intime, du huis-clos, du cercle familial ou du tabou de la sexualité. Non ces violences sont une blessure infligée à la société toute entière. Donc il faut que la société toute entière se révolte contre elle. »

La société, madame la ministre, ou tout du moins une bonne partie, est déjà révoltée, au gouvernement aujourd’hui de lui donner les armes d’une lutte efficace.