« Alors si tout s’joue à l’école, il est temps d’entendre le SOS / Ne laissons pas s’creuser l’fossé d’un enseignement à deux vitesses ». Ces propos du fameux slameur, Grand Corps Malade, ne sont pas nouveaux. Sans surprise, le même discours a été tenu aux Assises du journalisme.

Autour de la table, entre autres, Ousmane Ndiaye, journaliste à Courrier International, Samira Djouadi, déléguée générale de la Fondation TF1, Nordine Nabili, directeur du Bondy Blog et Florence Aubenas, journaliste au Monde, ont animé le débat sur le thème de la diversité. Une diversité qui met mal à l’aise aujourd’hui dans le milieu, et qui est encore trop souvent sujette à dérives au sein d’un système où tout est bon pour doper les ventes.
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Le mythe de « la France black, blanc, beur » est peut-être champion sur les terrains, mais certainement pas au sein de la presse française. Personne ne cherchera à contredire le constat que dresse d’emblée Florence Aubenas: « Les rédactions aujourd’hui ne représentent plus la société française ». En cause, une mise à l’écart « des gamins de banlieue », qui avait d’ailleurs déjà fait l’objet de vives critiques quand en 2006, Harry Roselmack, « le premier journaliste noir à une heure de grande écoute », intégrait les coulisses de TF1.

Mais aujourd’hui, insidieusement, le clanisme journalistique s’est déplacé. Comme le soulève Pascale Colisson, chargée de mission diversité et égalité des chances à l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ), « la différence ethnique apparaît actuellement comme une valeur ajoutée au sein des rédactions, au point que certaines d’entre elles se permettent d’appeler les écoles pour leur demander des élèves « de couleur ». A l’instar d’Ousmane Ndiaye, journaliste né au Sénégal, les jeunes d’origine étrangère sont devenus une denrée recherchée. Comme l’explique Ousmane Ndiaye, « l’origine peut être un enfermement comme une opportunité. Il ne faut pas en faire une fin en soi, tout dépend de ce qu’on en fait ».

De la place donc pour les jeunes étrangers, il y en a, à condition que leur différence culturelle soit perçue comme une compétence professionnelle par leur employeur. Somme toute, une nouvelle forme de ghetto au sein d’un système qui se veut en apparence plus ouvert.

Un problème en amont ?
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Mais si « le mâle blanc catholique », cet archétype du journaliste modèle, contre lequel se bat Nordine Nabili, semble mieux s’insérer au sein de la profession, en France, n’est pas journaliste qui veut. Au-delà des inégalités visibles, que les médias tentent de masquer en intégrant de plus en plus de journalistes « de couleur », les déséquilibres sociaux, qui vont malheureusement souvent de pair avec la différence ethnique, demeurent. Quand on sait en effet que 80% des élèves qui sortent des 13 écoles reconnues par la profession sont issus des classes supérieures, on sent bien que de gros efforts restent à faire.

Cet effort pourtant, les écoles l’ont entrepris il y a trois ans, en engageant une réflexion sur l’épreuve écrite de leurs concours. Interrogé lors du colloque, le responsable du master Journalisme du CELSA, Hervé Demailly, reconnaît ne pas avoir beaucoup avancé sur la question. Alors, penser une épreuve qui ne soit pas essentiellement centralisée autour de « la culture légitime », la culture française classique, un voeu pieux ? Il faut souhaiter que non, car trop d’élèves à fort potentiel mais issus de milieux défavorisés se détournent du journalisme après s’être essayés une première fois à un concours d’entrée qui leur semble inabordable.

Pour pallier à ces défections, des programmes ont été mis en place. Une école, peu suivie par ailleurs, a eu le souci de donner à ces élèves les moyens de concourir à armes égales avec les autres candidats. La prépa « égalité des chances » de l’Ecole Supérieure du Journalisme (ESJ), en partenariat avec le Bondy Blog, permet donc chaque année à une vingtaine d’élèves d’intégrer ces cursus sélectifs. Il n’en demeure pas moins que ces 20 élus parmi près de 550 élèves formés chaque année pèsent peu dans la balance.

Une profession reservée aux plus nantis
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Plus encore que les frais d’inscription dans les écoles ou même les sommes démentielles que certains sont prêts à payer pour se préparer aux concours, les étudiants qui parviennent à insérer les différentes formations reconnues ou non, sont bien souvent rattrapés par la réalité du métier. Un jeune étudiant en journalisme à l’IPJ, originaire de ZEP, le reconnaît: « Même avec une bourse et des APL, il est très difficile de supporter la période de stage qui suit la phase théorique de ce type d’études. Les rédactions nous obligent à cumuler des stages de moins de deux mois pour ne pas avoir à nous rémunérer. Non seulement, financièrement c’est difficile, mais en plus, en si peu de temps, ils ne nous forment pas bien ! ».

Aussi, certains médias ont tout bonnement décidé de zapper la case école. C’est le cas de TF1, qui lance sa fondation en 2008 avec pour objectif: « insérer professionnellement des jeunes de quartiers sensibles âgés de 18 à 30 ans. » Encore une fois, très peu d’élus, puisque seule une petite dizaine de candidats seront sélectionnés pour être formés et ensuite incorporés au groupe. Même type de formation du côté de Radio France, mêmes insuffisances. Des parcours pour quelques favorisés qui permettent à certains jeunes d’investir les rédactions mais non sans mal, car durant toute leur carrière, ils ne cesseront d’être questionnés sur leur « légitimité » et renvoyés à leur différence.

La différence oui, mais pas la même que celle des autres
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Dans cet univers aux frontières poreuses pour quelques chanceux, d’autres initiatives permettent de prendre conscience de certaines contradictions. Le Monde Académie, promu par Florence Aubenas et Serge Michel, représentant pour l’occasion le quotidien national, souhaite : « Ouvrir  les portes du métier à cette classe d’âge trop souvent recalée sur le marché de l’emploi tout en permettant au « Monde » de bénéficier du regard de ces jeunes générations sur l’actualité, diversifier  nos sources de recrutement et travailler  au renouvellement des générations au sein de l’entreprise : tels sont les objectifs du Monde Académie. ». Une déclaration de bonnes intentions que Florence Aubenas condense en ces termes lors du débat: « L’essentiel des candidats qui obtiennent aujourd’hui des stages au « Monde » a un profil trop classique, est pistonné et possède déjà un très bon réseau. Nous recherchons des personnes différentes ». Quel paradoxe qu’une profession si peu encline à incorporer les profils atypiques, en vienne à faire un appel d’offre pour intégrer les mêmes qu’elle a rejetés en amont !

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Pas de doute, il faut bien aux rédactions plus de différence, mais attention pas celle de tous les jours. Non, plutôt une différence… choisie, visible, celle qu’on trouvera parmi ceux qui n’ont pas voulu faire de journalisme.

celle qu’on trouvera parmi ceux qui n’ont pas voulu ou pas pu faire une formation de journaliste.