« Un nouveau mode de dialogue» avec les Toulousains et le monde associatif : c’est en ces termes que Jean-Michel Fabre, adjoint au maire en charge de la démocratie locale, a formulé son ambition il y a maintenant plusieurs mois, en lançant l’opération « Toulouse Citoyenne ».Nul Toulousain n’est censé ignorer ce rendez-vous placardé aux quatre coins de la ville : des réunions et rencontres-débats bien réelles, mais aussi virtuelles, sur ToulouseCitoyenne.fr (1), un forum Internet où les habitants sont invités à prendre la parole.

Le renouveau du politique

tlse_cit.jpgAvec la web-citoyenneté, un autre rapport au pouvoir politique se met en place et le rôle des nouvelles technologies dans le fonctionnement des démocraties fait débat.
Le Web, souvent assimilé à un moyen de privilégier une démocratie directe, ou « participative », devrait logiquement combler un citoyen qui y verrait s’accomplir l’âge d’or d’une démocratie lentement acquise. La vocation affichée de cette e-démocratie est ambitieuse, se voulant à la fois une tentative de renouvellement de la citoyenneté et de construction d’un lien social fragmenté.
Comment les Toulousains, jusque-là simples électeurs accueillent-t-ils cette possibilité d’accéder à un espace public élargi, même virtuel ? En effet, ils ont désormais leur mot à dire sur les grands enjeux de la ville, enjeux parfois absents du débat politique ou confisqués par quelques-uns.
Première visite sur le forum ToulouseCitoyenne.fr. Le décor démocratique est bien en place: un éventail de thématiques de discussion, des interventions modérées ; des listes mails sont également utilisées pour conduire les débats.
Mais force est de constater que le succès n’est pas au rendez-vous, et que le nombre de contribution, quels que soit les sujets, n’est pas très nombreux. Toulouse n’est pas un cas isolé : c’est une tendance que l’on retrouve dans la plupart des villes qui expérimentent ce nouveau mode de citoyenneté.

Les récalcitrants à la Web-tribune

Pour les plus sceptiques, le forum de ToulouseCitoyenne a surtout pour but de redorer le blason d’une démocratie représentative jugée déficiente en y injectant une dimension participative. Si les élus parlent souvent de « concertation » (l’implication des habitants à la définition, à la réalisation et à l’évaluation d’un projet), selon certains internautes, il ne s’agit tout au mieux que de « consultation », autrement dit de l’écoute des doléances et la participation sur des détails de projets.
« La mairie a déjà ses propres convictions sur les aménagements à réaliser et ce forum lui permet juste de s’assurer que son projet n’est pas complètement à côté de la plaque », lance un internaute sur le forum.
demo_locale_3.jpgMais les participants sont loin d’être tous mécontents de cette Net-initiative : « Les forums tels que celui-ci, c’est déjà un plus », affirme l’un des intervenants, qui y voit « une possibilité supplémentaire de recueillir des avis », en particulier « de ceux et celles qui se sentent plus à l’aise dans l’expression écrite que dans l’expression orale, ou qui n’ont ni le temps ni les moyens d’assister à des réunions ». Selon un autre, elle « enrichit » son expérience en matière de démocratie participative ; et il ajoute que « dans ce cas précis, la faible participation et le peu d’animation des débats ne sont pas des facteurs réjouissants ». Par ailleurs, on ne peut que saluer l’esprit novateur de certains cyber-citoyens, notamment en matière d’écologie et de développement durable.
Concrètement il apparaît qu’au niveau de leur quartier, les Toulousains sont préoccupés à 24 % par l’état de la voirie, puis par les équipements culturels pour 20 % et par l’action sociale pour 17 %. Par ailleurs, les habitants du centre ville se plaignent de la musique sortant des bars la nuit, ou encore de la circulation impossible dans les petites rues. Rien de bien original en fait.

On ne nait pas cyber-citoyen, on le devient

Les chercheurs qui consacrent leurs études à la démocratie locale dressent un bilan mitigé des diverses expériences d’e-démocratie.
Le premier écueil à éviter pour les élus sera de confondre la démocratie participative avec la démocratie de proximité, autrement dit de ne jamais laisser aux citoyens la possibilité de sortir de leur environnement immédiat et des sujets locaux.
Autre danger potentiel : chaque opinion que l’on sonde présuppose une injonction au public d’avoir immédiatement un avis individuel sur tout, d’être au courant de tout, d’être disponible pour débattre de tout. Est-ce le cas, si l’on considère que ceux qui passent beaucoup de temps sur les forums sont généralement ceux qui ont une motivation, un intérêt, ou un parti pris ? En cherchant à élargir la souveraineté populaire, on risquerait au contraire de confier celle-ci aux plus intéressés, ou simplement à ceux qui ont du temps et du goût pour s’en occuper.
demo_locale_2.jpgMais le défi majeur à relever sera sans doute l’intégration des catégories de personnes non connectées à Internet (personnes âgées, personnes en situation économique difficile…) : il se pourrait que la cyberdémocratie consacre le pouvoir, non pas du « peuple », mais d’une frange spécifique de la population, qui se trouve du bon côté de la « fracture numérique ».
Car au fait, qui utilise le Web ? Deux enquêtes françaises nous répondent : il s’agit d’individus « bien insérés socialement ». Et « la représentation des internautes ouvriers reste minuscule » Le même rapport conclut : « Pour l’heure, Internet ne bénéficie qu’aux individus relativement aisés et instruits. Les personnes qui sont « branchées » au sens premier du terme disposent d’un avantage écrasant sur les pauvres qui n’ont pas accès à ces moyens et qui, par conséquent, ne peuvent pas faire entendre leurs voix dans le concert mondial. […] Les réseaux mondiaux relient ceux qui en ont les moyens, et, silencieusement, presque imperceptiblement, excluent tous les autres (2). »

(1) [->http://forum.toulousecitoyenne.fr/]

(2) [->http://www.tns-sofres.com/etudes/pol/240500_nvleco.htm]

[-> http://www.tns-sofres.com/etudes/pol/200307_internautes-et-politique.htm ]